Thriller à la cour sous le scalpel de Hugo

 Le Théâtre des Osses monte Marie Tudor. Avec un doigté qui laisse au texte ciselé par Hugo toute la place qu’il mérite.

par Eric Bulliard

Tenter de résumer Marie Tudor, c’est se perdre assurément. Mieux vaut se laisser porter et faire confiance au génie de Victor Hugo: sur une trame complexe, il tisse une pièce limpide, aux allures de thriller, avec ses rebondissements et sa tension croissante, qui éclate à la dernière réplique.

Autant dire que ce drame romantique convient parfaitement au Théâtre des Osses, à Givisiez, qui n’a pas son pareil pour servir un texte au plus près, au plus juste. Peu importe, finalement, le contexte historique. D’ailleurs, Gisèle Sallin (metteure en scène) et Jean-Claude De Bemels (scénographe) ont choisi un décor et des costumes du XIXe siècle, celui de Hugo.

Marie Tudor évoque certes la cour d’Angleterre au XVIe siècle, mais l’histoire reste avant tout profondément humaine et universelle. Une histoire d’amours (entre la reine et Fabiano Fabiani, entre l’ouvrier Gilbert et Jane, entre Jane et Fabiani…), de passion, de vengeance, de pouvoir.

Marie Tudor se déroule en trois journées et en trois lieux: les quais de la Tamise, la chambre de la reine, la Tour de Londres. Dans la scénographie de Jean-Claude De Bemels, tous trois sont liés par la froideur sombre de la pierre et ces piliers à cour et à jardin qui créent une impression de labyrinthe.

Comme un cauchemar
En contraste avec cette grisaille, un rideau rouge vient suggérer le faste de la chambre de la reine. Ainsi que les dorures de sa robe et, en arrière-fond, une magnifique et effrayante toile de Füssli, Le cauchemar. Qui, au-delà de sa force esthétique, fait écho à cet aparté de Jane: «Mon Dieu! Si c’est un rêve, il est bien horrible!»

Aucune esbroufe, une volonté d’aller à l’essentiel. Au plus près de l’os, avec une intensité constante, sans que rien ne vienne détourner l’attention de l’intrigue. Le texte peut ainsi résonner dans toute son ampleur et son habileté.

La mise en scène de Gisèle Sallin est une nouvelle fois un modèle de doigté et de précision. Aucune esbroufe, une volonté d’aller à l’essentiel. Au plus près de l’os, avec une intensité constante, sans que rien ne vienne détourner l’attention de l’intrigue. Le texte peut ainsi résonner dans toute son ampleur et son habileté.

Hugo au salon
Véronique Mermoud empoigne avec gourmandise le rôle titre. D’une aisance sidérante, elle varie les registres, se révélant tour à tour (ou en même temps) drôle, effrayante, bouleversante… En comparaison, la jeune Melanie Olivia Bauer (Jane) est apparue encore un peu rigide, le soir de la première. Yves Jenny campe un Gilbert charismatique en diable, dévoré d’un amour qui lui échappe et Frank Michaux excelle dans le retors Fabiani. 
Quant au rôle du comploteur Simon Renard (à la froideur machiavélique soulignée par des tics nerveux), il est confié à une femme, Emmanuelle Ricci, ce qui accentue encore son ambiguïté.

En complément, le Théâtre des Osses propose, sous forme d’introduction ou de piqûre de rappel, un Salon Hugo, au deuxième étage. Dans une atmosphère de salon littéraire du XIXe siècle, une partie des comédiens de Marie Tudor évoquent la vie et l’œuvre de l’auteur des Misérables. Poèmes, chants, photos, peintures, extraits de roman et de harangue politique (l’extraordinaire Discours sur la misère) offrent une manière intelligente de se plonger dans cette œuvre foisonnante, infinie.

Givisiez, Théâtre des Osses, jusqu’au 31 décembre. Réservations: 026 469 70 00, www.theatreosses.ch

 

 

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