Lou Doillon, la musique, ce bel endroit

Avec Places, son premier album, Lou Doillon brise la boule à facettes. Jusque-là actrice et mannequin, elle se dévoile chanteuse à part entière et met tout le monde d’accord.

par Yann Guerchanik

L, o, u au bord de l’o. Son premier album fait ricochet. Lou Doillon entre en musique avec succès. Salué par la critique et le public, Places recèle onze morceaux libres et équilibrés. Mélange folk, pop et soul, servi par des arrangements denses et surprenants, qui tracent des chemins dans ses chansons. Avec dessus une voix grave, singulière, masculine aux entournures. Une voix qui laisse passer l’émotion à travers des interstices maîtrisés. Des élans soupesés, un grain tout en subtilité. La musique, Lou n’y était pas. Avec ce premier album, on sent qu’elle y sera pour longtemps. On ne demande qu’à se promener avec elle tant qu’elle y est. Interview… sans les questions.

Sa renaissance musicale à 30 ans
«Comme une sorte de mille-pattes fou, j’ai mis les pieds dans plein de choses différentes. De 15 à 19 ans, j’ai tourné énormément. Des films dont je suis fière, mais qui passaient dans quatre salles, à la télé entre 3 h et 5 h du mat’. Les gens ne les ont pas vus. Je faisais du théâtre public et la couverture de Playboy au même moment. J’ai commencé la mode à 18 ans et là tu deviens un mannequin qui fait du cinéma.

»Pour tout le monde, je suis de la famille Birkin-Gainsbourg. Autrement dit mon père n’est pas mon père (n.d.l.r.: son “vrai” père est le réalisateur Jacques Doillon). Tou­tes ces interférences ont fait que les gens posaient sur moi un regard flou. Avec la musique, j’ai eu le sentiment pour la première fois qu’on me voyait nette. Sans doute parce que j’ai réussi à donner ce que je ne parvenais pas à donner jusqu’à présent: un projet, comme une clé qui ouvre une porte.

Etienne Daho, réalisateur de l’album
«Etienne m’a dit: “On t’a toujours démontée… au pire rien ne change, au mieux tout change.” C’est comme s’il était passé devant chez moi en bagnole et qu’il me disait: “Monte, on va faire un tour.” Je me suis assise derrière et on est partis. C’était d’autant plus joyeux qu’en me rencontrant il a dû lui-même réaliser à quel point on est piraté par l’image qu’on fantasme des gens. Il connaît ma famille, il m’a croisée pendant quinze ans, sans savoir qui j’étais. Encore une fois, la réconciliation vient par la musique.

»En entendant mon album, on se rend compte d’un coup que je suis profondément anglaise, que l’anglais est ma langue maternelle. Comme une sorte de baume, comme un vecteur, elle rend compréhensible le fait qu’on me voyait au théâtre pour dix euros et sur les pages des magazines de mode, que j’aime William Blake, que j’écoute Nick Drake et Leonard Cohen, que j’ai eu un fils à 19 ans, que j’ai fait des films d’auteur.»

La formule est un peu vulgaire, mais j’y crois: avoir les couilles d’être une femme. Etienne était très surpris par le fait que j’écrivais comme un homme, ou que j’assumais comme un homme le fait que j’étais vraiment une gonzesse

Textes mélancoliques mais rieurs
«Parce que, profondément, j’aime la vie. Parce que, profondément, j’aime les gens. Dans leur tout et plus encore dans leur noirceur. Il y a cette phrase de Bill Hicks, un humoriste que j’aime plus que tout: “It’s just a ride. It goes up and down and round and round. Don’t worry, don’t be afraid – ever – because this is just a ride.” J’ai ce caractère-là: ça va dans tous les sens, mais il y a une envie d’apaiser, de rigoler.»

Chanter les contradictions
«J’aime les paradoxes. La vie n’est que ça. J’ai eu la chance d’être élevée par des gens honnêtes. Qui assumaient l’inassumable. Se retourner vers la personne dont tu es raide amoureux, pendant deux secondes te dire que tu n’aimes pas son sourire et d’un coup te dire que tu ne l’aimes plus du tout. Aller jusqu’à te demander pourquoi elle est dans la pièce. La seconde d’après l’aimer plus que tout. On vit tous ça.

»Mes chansons préférées sont les chansons les plus tordues, celles qui sont les plus vraies. Comme Jolene (n.d.l.r.: de Dolly Parton). Ecrire une chanson pour la gonzesse qui t’a piqué ton mec en disant cette phrase fantastique: “Please don’t take him just because you can” (S’il te plaît ne le prends pas juste parce que tu le peux)… pour moi c’est mille fois plus intéressant.

»La vie, c’est bien plus taré que ça: nos enfants sont des étrangers. On les regarde, on se demande d’où ils sortent alors que ce sont les nôtres. La vie, c’est bien plus émouvant que ça: il y a des moments où ton bébé braille et tu as envie de claquer la porte et de te barrer. Il y a un nombre de femmes qui pensent le balancer par la fenêtre en croyant qu’elles sont les seules… Je veux parler de ces choses-là.

»Etienne me demandait si j’avais vraiment envie de chanter Jealousy, parce qu’il n’y a rien de moins excitant qu’une fille qui assume qu’elle est jalouse. Non seulement je l’assume, mais je le revendique. Des fois, ma jalousie était tellement forte que j’avais l’impression d’être deux. Eh bien, c’est fantastique le nombre de jeunes filles qui viennent me voir depuis un mois en me parlant de cette chanson.»

Son écriture au masculin
«Je me sens proche d’une “race” de femmes qui commencerait avec des Nina Simone, des Patti Smith et qui continuerait avec des Lhasa, des Cat Power, des Fiona Apple. La formule est un peu vulgaire, mais j’y crois: avoir les couilles d’être une femme. Etienne était très surpris par le fait que j’écrivais comme un homme, ou que j’assumais comme un homme le fait que j’étais vraiment une gonzesse.»

Chanteuse observatrice
«A quatre ans, je suis sous la table de la cuisine. On m’oublie et je vois tout. Je vois qui se touche sous la table et qui prétend le contraire au dessus. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui sont des artistes, donc des enfants, des gens qui ne calculent rien et qui vous montrent tout. En backstage, j’ai vu ma mère qui expliquait à un public en larmes qu’elle n’aurait jamais dû quitter Serge, que c’était l’homme de sa vie. Tu dois le comprendre à six ans, parce qu’on a oublié encore une fois que tu étais là. Il y a 600 personnes en pleurs devant ta mère qui se disent que c’est la plus belle chose du monde. Quand tu rentres à la maison, tu te rends compte qu’elle est seule dans la cuisine, qu’il n’y a plus personne. J’ai vu les devants et les arrières. Ça fait trente ans que je regarde et j’adore ça.»

Lou Doillon
Places
Barclay/Universal Music

 

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