Oxmo Puccino, une voix de miel devenue royale

Oxmo Puccino livre son sixième album. Roi sans carrosse confirme la direction prise depuis son fameux Lipopette bar. Soit un rap qui fait la part belle aux instruments. Rencontre.

par Laurent Rumo 

Pour lui, le rap n’est pas qu’une affaire de scratches et de samples. En 2006, Oxmo Puccino s’était affranchi des standards du hip-hop en composant Lipopette bar, un album pour lequel il s’était entouré des Jazz bastards, formation instrumentale à tendance jazz. Depuis, le «black Jacques Brel» n’a eu de cesse de creuser cette voie. Au bout du compte, il a toujours obtenu le respect unanime de ses pairs, phénomène rare dans un milieu aussi exclusif et écorché que le rap français. En 2009, au zénith de sa popularité, il remporte une Victoire de la musique avec L’arme de paix.

L’artiste à la voix de miel revient avec Roi sans carrosse, son sixième opus, pour lequel il s’est même donné la peine d’apprendre les gammes sur une six cordes. Rencontre.

Quelle a été l’étincelle de base, la substance créatrice pour ce nouvel opus?
La guitare. Et les cordes de manière générale. Je n’avais jamais utilisé d’instrument à la base de ma composition. J’ai toujours été fan de guitare. J’ai donc appris à en jouer et j’ai composé en grande partie de cette manière. Par rapport aux autres albums, il y a moins de synthétique. Disons que c’est allégé, mais toujours aussi dense musicalement.

Avant d’amener la guitare, le processus de composition était-il très différent?
Avant, tout était basé sur les boucles, avec des rythmiques, parfois une basse jouée. Pendant les neuf mois passés en studio avec les musiciens pour L’arme de paix, j’ai essayé de communiquer mes idées. Mais on n’avait pas le même langage. J’ai donc eu besoin d’apprendre à jouer d’un instrument polyphonique pour savoir de quoi je parlais. J’ai travaillé la guitare de manière stakhanoviste, et je me suis retrouvé naturellement à poser mes propres idées.

Vincent Ségal, violoncelliste et arrangeur de renom, semble être la pierre angulaire de cet album. Comment l’avez-vous rencontré?
Vincent est quelqu’un de très important pour la musique française. Il a travaillé avec beaucoup d’artistes et composé les musiques pour les derniers films d’Audiard, notamment. Je le connais du temps de sa collaboration avec Matthieu Chedid. Ce dernier m’avait invité à la Ferme du Buisson pour un festival avec tous les artistes qu’il appréciait. Là, Vincent Ségal m’a proposé de monter sur scène. Je m’y suis collé, sans savoir ce que cela impliquait d’évoluer avec des musiciens en concert. Je me suis pris le mur! Mais j’ai gardé un goût de revanche et j’ai toujours espéré jouer avec lui. Cette rencontre hasardeuse m’a emmené sur Lipopette bar, les Jazz bastards et tout ce qui a suivi.

Au niveau musical, ce Roi sans carrosse revient à l’essentiel. Le résultat est très dépouillé. Est-ce une recherche d’efficacité?
Absolument. Je partais de ma quête brute, avec une structure minimale. J’amenais ça à Vincent, qui se chargeait de tout agencer. Comme il voulait respecter mes maquettes, il a fait le choix de rester léger. Contrairement à mon dernier album, qui était un déferlement musical. Ça collait avec le côté plus intimiste du propos.

Dans l’écriture, on sent un glissement vers l’introspection. Certains textes semblent même faire écho aux morceaux de votre premier album, Opéra Puccino
Il y a une résonance, c’est vrai. Ce sont les mêmes thèmes, abordés vingt ans plus tard. A l’époque, j’avais une approche un peu plus viscérale, impulsive, jeune. Avec le recul, je change d’angle. Par exemple, sur Le vide en soi, qui pourrait donner écho à Mourir 1000 fois, il y a cette réflexion sur la mort. Très souvent, on parle de l’être qui part. Là, je parle de ceux qui restent. Dans ces moments de solitude, ça fait du bien de pouvoir déposer sa tristesse. Parfois, j’utilise mes chansons comme des portemanteaux. J’y accroche l’humeur dont je n’ai pas besoin. Si je m’ennuie, je vais faire un texte pour y déposer mon ennui. Si je suis triste, je vais trouver une chanson qui comprend ma tristesse et qui pourra m’épauler.

Au moment où certains artistes restent très fidèles à leur entourage, vous changez régulièrement de collaborateurs…
J’ai longtemps travaillé avec la même équipe. Mais, lorsque je voulais changer de couleur musicale, ce n’était pas évident. Un beau jour, les chemins ont dû se séparer. Là, on est contraint de trouver quelqu’un d’autre. Et le problème s’inverse. On se retrouve perdu, sans référence. Ainsi, après avoir réussi mon projet avec les Jazz bastards, le mieux pour moi était de rester dans les rencontres. On peut facilement se morfondre dans un confort à ne pas changer d’équipe. Ne pas prendre de risques, c’est ne pas être créatif.

Ne pas prendre de risques, c’est ne pas être créatif.

Dans votre entourage, certains ont-ils mal compris le virage Lipopette?
Bien sûr! J’ai trouvé ça touchant parce que c’était toujours très attentionné. On me disait: «Mais qu’est-ce que tu fais, Oxmo? Les gens ne vont pas te comprendre.» On me voyait en studio avec des types aux cheveux longs, des mecs avec des mèches, des pantalons serrés, qui ne connaissaient rien à notre univers. C’était inquiétant. Quant à moi, je me serais ennuyé si je n’avais pas fait ça après trois albums.

Les samples, les scratches, et tous ces ingrédients purement hip-hop, ça ne vous manque pas?
Non, pas du tout! Le bonheur se trouve partout. Rester bloqué quelque part, c’est manquer les autres endroits. J’essaie de voyager avec l’enrichissement que m’a apporté chaque arrêt. Un sample, finalement, ce n’est que quatre mesures. C’est considéré comme du vol. Quitte à faire un compromis, je préfère m’arranger avec les instruments.

Votre expression du hip-hop, dans le fond, est restée très classique. Par contre, la forme a beaucoup évolué au fil des albums. Jusqu’où ira votre recherche musicale?
Jusqu’où sera-t-elle compatible avec le hip-hop? Je n’ai rien à prouver, je ne me fais que plaisir. Si on ressent que c’est hip-hop, tant mieux. Sinon, j’espère simplement que ça vous plaît. Je ne suis pas dans une quête d’identité, de titre ou de statut. Je propose quelque chose, appelez-le comme vous voulez. Le principal est que vous appréciez.

Oxmo Puccino
Roi sans carrosse
Disques Office
notre avis: ♥♥ 

 

 

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