Christophe Blain, un éloge de la bizarrerie

Invité d’honneur de la huitième édition de BDfil, à Lausanne, le dessinateur parisien Christophe Blain se confie sur son parcours et sur sa notion de la créativité.

par Gilles de Diesbach

Les histoires de Christophe Blain sont des aventures d’hommes, des vrais, de ceux qui croient en leur destinée et qui la suivent à l’instinct, sans trop savoir ce que la vie leur réservera. Ils foncent, sans réel but si ce n’est celui de respecter ce qu’ils sont. Les héros de ce dessinateur parisien sont peut-être à son image: un homme qui doute et qui, en même temps, croit dur en ce qu’il fait. L’auteur est l’invité d’honneur de la huitième édition de BDfil, festival de bande dessinée, qui se tient à Lausanne du 14 au 17 septembre. L’exposition Odyssée(s) retrace ses quinze ans de carrière.

Comment êtes-vous arrivé à la bande dessinée?
En réalité, je n’ai jamais voulu en faire. Plus jeune, j’ai suivi les Beaux-Arts, mais ces études ne me correspondaient pas. Puis j’ai commencé à vivre d’illustrations pour des magazines. Mes premiers livres sont des carnets de voyage, dont un que j’ai réalisé durant mon service militaire dans la marine française. En 1993, j’ai illustré plusieurs livres pour enfants. J’avais donc un pied dans la profession et je me suis mis à chercher un atelier. Tout a commencé à partir de ce moment-là.

C’est-à-dire?
J’ai trouvé un local complètement par hasard, place Beaubourg à Paris, où travaillaient déjà David B. et Lewis Trondheim. Nous nous sommes tout de suite bien entendus. J’ai aimé leur univers et nous avons rapidement travaillé ensemble. David B. m’a proposé un scénario et, en 1997, ma première BD sortait. C’est lui qui m’a donné envie d’écrire. Il m’a beaucoup aidé.

Vous avez donc collaboré avec de grands noms du neuvième art. Comment cela s’est-il passé?
Il y avait une sorte d’émulation entre nous. Peu de temps après mon arrivée, Emile Bravo nous a rejoints, puis Joann Sfar et Emmanuel Guibert en 1994. L’atelier place Beaubourg étant trop petit, nous avons tous déménagé place des Vosges dans une sorte de vieux squat immense avec une mezzanine. C’était dégueulasse, mais pour nous c’était Byzance! Il y régnait une atmosphère de copains qui avaient envie de travailler ensemble. Lewis Trondheim et Joann Sfar étaient des locomotives. Ils faisaient quatre albums par année, quand nous en faisions un tous les quatre ans. Ils m’ont donné envie d’agir, m’ont appris qu’il ne faut pas essayer de se retenir quand il se passe quelque chose.

Que voulez-vous dire par «quand il se passe quelque chose»?
Ce qui est intéressant dans la création, c’est de ne jamais arriver à faire exactement ce qu’on veut. Si on le fait, on devient prévisible. Toucher l’imprévisible, c’est être confronté à des accidents. Et quand ils arrivent, on les exploite, on les rattrape… On est toujours en train de tomber et de se rattraper. De là naîtront des choses surprenantes. Il faut suivre son propre chemin interne. Il faut se laisser guider.

C’est de cette manière que vous avez développé ce style de dessin si caractéristique?
Sans doute, car avoir un style, c’est faire preuve de beaucoup d’incapacités. On est toujours limité. On se fixe un objectif et, en essayant de l’atteindre, apparaissent d’incroyables phénomènes, complètement inattendus.

Et vos influences dans tout ça?
C’est un mélange de plein de bizarreries. Je suis quelqu’un d’assez rétro. J’aime ce qui m’a précédé, car j’idéalise des époques que je n’ai pas connues. Je m’en fais des paradis perdus. Les artistes peintres du XIXe et du début du XXe siècle, comme Picasso ou Dubuffet, me fascinent. Quant à mes premières BD, ce sont celles de mon enfance: les Lucky Luke et les Tintin bien sûr, mais aussi celles de Giraud, Gotlib, Tardi et Fred. J’aimais aussi l’esprit des magazines Pilotes et Pif. Les années soixante et septante de la bande dessinée en somme.

Vous semblez donc aussi instinctif que vos personnages de BD…
Tout est dans l’instinct, car il a toujours raison! Je suis constamment à sa recherche et essaie de l’écouter. C’est loin d’être évident! Quand on réfléchit, on arrive à rien. La réflexion doit être le fruit de l’instinct. Il dit toujours la vérité, c’est pourquoi il faut lui faire confiance. Cela dit, mes personnages sont aussi victimes de leur impulsivité, ce qui n’est pas la même chose. Du coup, ils se retrouvent dans des situations rocambolesques. Mais la voie qu’ils prennent au final leur correspond. Ils ont la vie qu’ils cherchent et sont en accord avec eux-mêmes.

Avoir un style, c’est faire preuve de beaucoup d’incapacités.

Justement, quand vous êtes au scénario de vos albums, l’impression que vous marchez à l’instinct, sans réelle structure persiste. Est-ce vrai?
Non: c’est d’autant plus faux qu’au bout d’un moment mes histoires se chevauchent. Par exemple, ma série Gus est très structurée. Je connais parfaitement la fin et m’amuse avec les effets de surprise. J’aime brouiller les pistes. Il y a un peu plus d’improvisation dans Isaac le pirate. Au départ, le tout tenait dans deux gros albums, mais mon éditeur m’a demandé de le découper en plusieurs «46 pages». J’ai dû rallonger l’histoire qui, au bout de huit ans, a évolué avec moi. Du coup, j’ai plusieurs fins. Mais je vais revenir à Isaac le Pirate, certainement pour 2014.

Et le succès phénoménal de Quai d’Orsay, qu’a-t-il changé dans votre vie?
De beaucoup moins galérer. D’être considéré par mon éditeur lorsque je lui propose une idée. Avant, je planchais des mois sur une histoire pour le convaincre, maintenant je l’appelle… Je suis par exemple en train de travailler avec la chanteuse Barbara Carlotti sur un livre-disque. C’est un projet coûteux et risqué, mais qui tombe au bon moment, grâce au best-seller qu’est Quai d’Orsay. Sans oublier votre invitation à BDfil… Philippe Duvanel, le directeur, me demande depuis trois ans d’être son invité d’honneur. J’ai fini par accepter et j’ai hâte d’y être. D’autant plus qu’il a lui-même mis en place l’exposition Odyssée(s) en piochant dans quinze années de dessins. Mais bon, je l’ai aidé, car il n’arrivait pas à choisir…

 

www.bdfil.ch

 

 

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