Olivier Adam, à jamais dans les marges

Avec Les lisières, Olivier Adam continue de creuser son sillon, à la fois intime et social. A travers un homme replongé dans un passé qu’il a fui, il affronte les thèmes qui lui sont chers: l’absence, la séparation, la famille, les non-dits.

Par Eric Bulliard

Parce qu’il ose la sensibilité, certains y voient de la sensiblerie. Parce que chaque page sent la sincérité, il ne plaît guère aux cyniques et aux faiseurs de mode. Un magazine de référence parisiano-branchouille qualifiait récemment Olivier Adam d’écrivain en toc, en le mettant dans le même sac que Florian Zeller. Même délit de belle gueule, alors qu’il suffit de les lire pour se rendre compte que rien ne les rapproche.

Avec Les lisières, Olivier Adam continue à creuser le sillon qui a fait son succès depuis Je vais bien, ne t’en fais pas (2000). Une manière bien à lui d’explorer les sentiments, d’évoquer l’absence, la séparation, la famille et sa chape de non-dits. Et de les placer dans un engrenage plus vaste, de les relier à une observation pertinente des rouages de la société.

Ecrivain, scénariste, vaguement alcoolique et dépressif, Paul Steiner ne digère pas que sa femme l’ait quitté il y a six mois et qu’il ne voie ses enfants qu’une semaine sur deux. Pour rendre visite à sa mère, hospitalisée, et à son père, il quitte la Bretagne pour rejoindre la banlieue parisienne où il a grandi et qu’il avait fuie avec soulagement. Durant ces quelques jours, il retrouve d’anciens camarades de classe, restés sur place. Evidemment, dans Les lisiè-res comme dans toute œuvre littéraire, l’histoire importe peu. Le narrateur l’affirme lui-même: «Des bonnes histoires on en trouve partout, dans chaque poubelle, il y en a plein les journaux, plein les rues, plein les maisons (…). Non, un bon film, comme un bon livre, ne tient qu’à la manière, au regard, au rythme, au plan, à la langue, à la lumière, au temps, à la phrase.»

Un portrait de l’entre-deux
La manière, ici, se révèle à la fois nette, précise et évanescente. Nette, parce qu’Olivier Adam, à travers son double littéraire, affronte franchement les thèmes qui l’habitent, s’interroge sur ses origines, a gommé une bonne part des fioritures de ses précédents romans pour, au final, offrir un portrait pertinent de cette société française de l’entre-deux. Cette population d’ouvriers à la fois résignés, fatalistes et prêts à voter Front national parce que, quand même, «on est plus chez nous».

Un bon film, comme un bon livre, ne tient qu’à la manière, au regard, au rythme, au plan, à la langue…

Quant à l’évanescence, elle naît de cette impression de flottement, qui est aussi un des thèmes essentiels du livre. Paul, ses proches le lui reprochent sans cesse, n’est jamais vraiment là. Toujours en marge, toujours à côté, en périphérie. «Incapable de saisir la vie dans sa plus simple expression, d’en prendre possession, d’y être présent.» Alors que le Japon, pays qui lui est cher, se noie sous le tsunami, alors que sa mère se retrouve en pleine confusion mentale, il avance comme dans un brouillard de mélancolie, au milieu d’un passé qu’il préférerait ne pas affronter.

«On est ce qu’on peut»
Tout cela n’est guère joyeux et Olivier Adam n’évite pas certaines lourdeurs et ficelles un peu voyantes. Inutile en outre d’y chercher le souffle des grands stylistes. A travers son narra- teur, lui-même lâche une forme d’aveu: «Plus tard, je m’étais vu en Modiano, Fante, Sagan, Salinger et j’avais écrit les livres que j’avais écrits. Des livres de cogneurs de fond de court, solides mais dénués de grâce, laborieux et pesants. On est ce qu’on peut. Mais de le savoir, rien ne nous console…»

N’empêche que chaque page respire la sincérité et l’exactitude de l’observation. Que ce soit celle des liens familiaux et de ses silences comme celle des illusions perdues d’une génération pour qui le bonheur se résume à une «petite maison avec le jardin pour les gosses», le «ciné une fois par mois, le McDo et le Buffalo Grill le vendredi soir…» Olivier Adam a cette immense qualité: non seulement il connaît et ressent ce monde qu’il décrit, mais il le sonde en refusant toute condescendance et toute complaisance. Son regard ne vient pas d’en haut ni de côté, mais d’en face. A hauteur d’homme.

Olivier Adam
Les lisières
Flammarion (464 pages)
notre avis: ♥♥♥

 

 

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