Centre Paul Klee: quand l’art crée la rencontre

A Berne, le Centre Paul Klee présente Touchdown jusqu’au 13  mai. Une exposition qui raconte le syndrome de Down en mêlant des pièces artistiques et scientifiques. Fruit d’une collaboration entre personnes avec 
et sans trisomie 21.

Par Yann Guerchanik

Une exposition de, une exposition sur… Rarement avec. A Berne, le Centre Paul Klee fait exception en choisissant la préposition qui rapproche et qui relie. Touchdown raconte l’histoire de la trisomie 21 avec des personnes porteuses du syndrome de Down. Aux frontières de la présentation d’œuvres et de l’action culturelle. Entre archéologie, histoire contemporaine, médecine, génétique, cinéma et art plastique. Un résultat éloquent, qui fait voir la lumière à tous les étages.

Le fruit de cette collaboration entre personnes avec et sans trisomie 21 est le propre de l’homme: raconter des histoires. A travers sept sections et plus de 100 pièces scientifiques et artistiques, Touchdown propose au visiteur un récit. Celui d’un équipage d’extraterrestres qui investissent le Centre Paul Klee. Des extraterrestres avec trisomie 21. La scène est représentée sous la forme d’une BD grandeur nature par le dessinateur Vincent Burmeister.

On fait petit à petit connaissance avec ces chercheurs d’une autre 
galaxie. On apprend qu’ils sont chargés de la «seconde mission». Voilà 5000 ans, leurs ancêtres étaient venus sur la Terre pour y vivre. Que leur est-il arrivé? Quelle vie les descendants de cette première mission mènent-ils aujourd’hui? La grande salle de l’institution bernoise renferme en fait le compte rendu de cette expédition. Avec ses bonnes surprises et ses désillusions.

Le visiteur chemine sur le parcours un livre de bord à la main. Il commence par se familiariser avec les conditions de vie et les biographies individuelles de personnes avec trisomie 21. «Comment vivent-elles aujourd’hui dans notre société? Sont-elles amoureuses? Travaillent-elles? Ont-elles leur propre compte en banque? Leur permis de conduire? Peuvent-elles se marier et devenir parents? Ont-elles le droit de vote? Qu’en est-il de leur dignité humaine? De leur droit à être adultes?»

Les réponses nous parviennent d’objets, d’œuvres et d’installations. Certaines sont écrites noir sur blanc. Par exemple, nul «ne sait exactement combien de personnes avec une trisomie 21 il y a en Suisse ou dans le monde». Rares sont les pays qui collectent des données précises à leur sujet. Le visiteur se fait également ses propres réponses, entre autres, devant les sculptures textiles de l’Américaine Judith Scott. De grandes balles faites de fils enchevêtrés, impressionnants emballages, comme des cocons géants multicolores.

Désir de normalité
Cette première prise de contact pose l’enjeu, elle met au jour les relations qu’entretiennent les personnes avec et sans trisomie 21, ici et maintenant. Et chaque mur affiche un désir de normalité et d’individualité.

Pour en dire plus long, Julia Bertmann a choisi par exemple d’exposer des tranches de jambon. A côté, son témoignage sur une étiquette plastifiée: «La vendeuse dit: “Tu voudrais une tranche de saucisson?” Alors je dis: “Non, merci. Vous pouvez me vouvoyer.” Alors elle est perplexe et s’excuse. Ensuite, j’achète du pain. La vendeuse dit: “Quel pain tu voudrais?” J’écarquille les yeux et répète: “Vous pouvez me vouvoyer, vous savez.” La vendeuse dit: “Excusez-moi. Je ne savais pas.” Quand la fois suivante je suis allée au même supermarché, la même chose s’est passée de nouveau. Alors j’ai dit: “J’aimerais parler au gérant du magasin.”»

Ou comment notre passé est presque toujours raconté et représenté par des hommes «normaux»

La salle suivante, le visiteur remonte dans le temps. Pour l’exposition, un test ADN du syndrome de Down a été effectué sur un squelette de plus de 2500 ans: une première sur le plan scientifique. Plus loin, une peinture de 1515 et une figure en céramique vieille de 3000 ans «comptent parmi les rares éléments indiquant qu’il existait déjà auparavant des êtres humains présentant cette variance génétique». Ou comment notre passé est presque toujours raconté et représenté par des hommes «normaux».

Un pan de l’exposition présente ensuite John Langdon-Down: le médecin anglais qui entre en scène en 1866 pour que les personnes avec trisomie 21 entrent dans l’histoire. Il fut le premier à les décrire, à les rendre visibles à travers la photographie, le premier à concevoir des méthodes destinées à leur permettre de vivre de manière plus autonome.

Le visiteur a l’occasion de consulter les livres de patients – des originaux. Il observe ensuite les photos prises par Langdon-Down si différentes des clichés historiques de ses collègues médecins. Les premières reflètent de la dignité quand les secondes exhibent des phénomènes de foire.

La société diverse
Plus loin, une salle sombre retrace les années 1918 à 1945, en Allemagne et en Suisse. Les personnes avec trisomie 21 sont des «boulets» dont il faut se débarrasser. Enlèvement, internement, élimination. Des médecins, des soignants, des parents parlent à mots couverts. L’époque est à la dissimulation, à la manipulation. Et le visiteur se surprend à détecter des schémas argumentatifs que l’on entend encore aujourd’hui.

La délicate question du dépistage, de la naissance, de l’épanouissement de son enfant est abordé le plus simplement du monde

L’équipage d’extraterrestres qui accompagne toujours le visiteur à travers des scènes de BD sur les murs, se pose beaucoup 
de questions. Trois salles sont alors successivement consacrées aux thèmes de la famille, de la génétique, de l’apprentissage et de la santé. En ligne de mire, il s’agit de réfléchir aux possibilités d’une société diverse.

Les joyeux membres de la «seconde mission» se demandent alors si les conditions sont réunies pour qu’ils restent sur Terre. Leur débat est notamment retranscrit dans une brève pièce radiophonique. En écho, le visiteur se plonge dans la lettre poignante de Dagmar Kirsche. Elle y parle de Yarik, son fils de 11 ans né avec une trisomie 21. Elle aborde le plus simplement du monde la délicate question du dépistage, de la naissance, de l’épanouissement de son enfant. Sans parti pris ni complaisance.

Au début de l’exposition, le visiteur était invité à se regarder dans un miroir. A la fin, il s’y contemple encore une fois en constatant qu’il n’est plus tout à fait le même.

Berne, Centre Paul Klee, jusqu’au 13  mai. Info sur le programme d’activités (tandem, tables rondes, performances, etc.) sur www.zpk.org

Touchdown Repros

Posté le par Eric dans Exposition Déposer votre commentaire

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