Ben Lerner, les vers dont rêve le poète

C’est un livre de moins de cent pages guère plus grand qu’un stylo Bic. Mais il contient le monde. Tout ce qui se joue dans l’espace et dans le temps. Depuis cet essai, on jouit d’une vue astronomique. Pas étonnant, ça parle de poésie. L’auteur, Ben Lerner, dit la haine qui souvent la flétrit. Toute la méfiance et l’aversion que les gens lui vouent. L’Américain est bien placé pour en parler: il est lui-même poète. Dans le genre manifeste, il répertorie les griefs pour tenter de les dépasser. Il le fait avec humour et beaucoup d’esprit. Avec de l’acuité aussi.

Car Ben Lerner se rend sur le terrain, il met les mains dans le poème. Son analyse des vingt-quatre mots de Poésie, de Marianne Moore, est un régal. De même que sa lecture des premiers vers de Chanson de moi-même, de Walt Whitman. L’auteur multiplie les exemples, se jetant parfois dans des eaux où l’on perd pied, la complexité jusqu’au cou. L’essentiel du propos demeure pourtant limpide. Et fort beau. L’auteur rebondit sur un cruel constat: les poèmes sont à jamais insuffisants pour dire la poésie. Le réel 
réduit fatalement le virtuel. «Figure tragique», le poète n’abdique pas pour autant. «Poésie devient un mot pour un ailleurs que 
les poèmes ne sauraient créer, mais peuvent faire sentir, quoique par l’absence, quoique dans le malaise.»

Par Yann Guerchanik

Ben Lerner, La haine de la poésie, Allia, 96 pages

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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