«Le chant du cygne»: un hommage au théâtre, au jeu et à Roger Jendly

Un vieil acteur se réveille dans sa loge. Tout le monde est parti, sauf le souffleur et les souvenirs qui habitent le théâtre. A travers Le chant du cygne (ce vendredi 1er décembre à CO2), le metteur en scène Robert Bouvier rend hommage au théâtre et à Roger Jendly. Rencontre avec ce comédien au parcours exemplaire.

Roger Jendly et Adrien Gygax dans «Le chant du cygne». © Fabien Queloz

 

Par Eric Bulliard
Il a mille souvenirs à brasser, mille histoires à raconter. Passer une heure avec Roger Jendly, c’est revisiter près de soixante ans de théâtre. On en retrouve une partie dans ce Chant du cygne, que la salle CO2 accueille ce vendredi: le metteur en scène Robert Bouvier s’est fondé sur cette pièce de Tchekhov pour rendre hommage à cet acteur hors pair et à l’art qu’il continue de servir avec la fraîcheur d’un jeune homme.

Ce projet a vu le jour autour de La Cerisaie, montée par Robert Bouvier, où Roger Jendly jouait l’émouvant Firs. Tchekhov, déjà, sa puissante humanité. «Nous avons fait une grande tournée, où nous avons beaucoup parlé de théâtre», raconte le comédien. Au cours d’une de ces discussions, il évoque cette courte pièce, jouée il y a dix ans au Théâtre des Osses. Sous forme de monologue, Roger Jendly avait intégré des textes de Victor Hugo. Le chant du cygne était devenu La nuit de Vassili Triboulet.

«Avec Robert, notre idée est de raconter ce qu’on ne raconte pas d’habitude, à propos du théâtre. De répondre aux questions des spectateurs, par exemple: “Comment faites-vous pour apprendre votre texte?”» Dans ce Chant du cygne – que Tchekhov appelait «le plus petit drame au monde» – un vieux comédien se réveille dans sa loge, seul, après avoir bu quelques verres de trop. Il ne reste là que le souffleur et les âmes qui habitent le théâtre.

«Dans la pièce, raconte Roger Jendly, le souffleur est aussi vieux. Ici, il est jeune, interprété par Adrien Gygax, ce qui a permis non pas une confrontation, mais une rencontre entre deux générations.» Le chant du cygne lève ainsi un coin de rideau sur le théâtre et sa magie, sur cet artisanat millénaire, ses coulisses, ses techniciens… «Nous partons de Tchekhov pour déraper sur autre chose. C’est un hommage qui raconte le plaisir du théâtre, qui passe uniquement par le jeu.» Et qui évite tout ce qui pouvait paraître trop didactique.

Du plaisir avant tout
A l’hommage au théâtre s’ajoute donc celui que Robert Bouvier a souhaité rendre à Roger Jendly. «Je n’ai pas l’habitude de regarder en arrière, relève le comédien. C’était amusant de revisiter ce passé, de revoir cette trajectoire.» Une trajectoire de haut vol, marquée par les plus grands auteurs, les plus grands metteurs en scène (lire ci-dessous). «On me demande parfois si j’ai des regrets, je réponds que non», lâche-t-il avec son sourire modeste. «Je crois que c’est plutôt pas mal…»

Une constante dans ce parcours: le plaisir et le jeu. «Sinon, on s’emmerde!» La souffrance du comédien? «J’abhorre ça!» Son métier, Roger Jendly l’envisage selon une formule qui lui est chère: «Faire les choses avec le sérieux d’un enfant qui s’amuse. S’il n’y a pas de plaisir sur le plateau, il n’y en aura pas dans la salle.»

Rien ne lui déplaît autant, à la fin d’un spectacle, que d’entendre cette expression: «Quel beau travail!» Parce que la phrase sent la sueur, le labeur, alors que l’élégance de l’artiste, qu’il soit musicien, danseur ou comédien, consiste à ne pas montrer la difficulté. A faire croire que tout coule aisément.

Je vais avoir 80 berges, j’ai dû jouer bientôt 180 vies, c’est génial!

«Je m’amuse toujours»
Travail il y a, évidemment: avant même de commencer à apprendre son texte, Roger Jendly avoue lire la pièce entièrement 15 à 20 fois. Pour comprendre «comment les choses s’articulent, quels sont les rapports entre les personnages, comment c’est écrit…» Dès la première répétition, texte su au cordeau, il peut ainsi «proposer du jeu dans l’espace. Et c’est tout de suite du plaisir.»

La joie, le plaisir du jeu… Nous y revoici. «J’ai de la chance: je m’amuse toujours. Même quand on fait de longues tournées. Sur scène, on joue à jouer et ça reste une vraie jouissance. On est toujours dans l’imaginaire, pas dans le réel. Je vais avoir 80 berges, j’ai dû jouer bientôt 180 vies, c’est génial!»

Parmi tant d’autres, le metteur en scène Benno Besson l’a particulièrement marqué. «Il disait souvent que la naïveté est une des bases du métier. Il faut être attentif à tout, comme si c’était la première fois.» Au passage, Roger Jendly remarque que «les comédiens, souvent, ne s’écoutent pas assez les uns les autres. Il faut rester ouvert constamment à ce qui se passe. Sinon, tu es là, à attendre ta réplique…»

Une vraie découverte
D’Adrien Gygax, qu’il a rencontré pour la première fois au début des répétitions, Roger Jendly affirme que c’était «une vraie découverte de voir comment il travaillait». Le comédien chaux-de-fonnier (qui a joué à CO2 il y a deux semaines dans Le bal des voleurs) vient d’une autre école, lui qui a également suivi une formation en comédie musicale.

Né en 1985, Adrien Gygax fait en outre partie d’une génération plus habituée à l’écriture de plateau, à monter des pièces sur la base d’improvisations. Ce qui a été en partie le cas pour Le chant du cygne. «Moi, je viens plutôt du théâtre de texte, reconnaît Roger Jendly. Au TPR, nous avons aussi monté des spectacles en improvisant, mais il y a longtemps que je n’avais plus été confronté à ça.» Et c’était comment? «C’était rigolo à faire!»

La Tour-de-Trême, salle CO2, vendredi 1er décembre, 20 h Réservations: Office du tourisme de Bulle, 026 913 15 46, www.labilletterie.ch
Egalement à Givisiez, Théâtre des Osses, du 22 février au 4 mars. www.theatreosses.ch

 

L’itinéraire d’un comédien incontournable
Sa modestie dût-elle en pâtir, Roger Jendly mérite largement le qualificatif de figure majeure du théâtre. Mythique, même, selon le metteur en scène Robert Bouvier. Né à Fribourg en 1938, il a une vingtaine d’années quand il se rend à Paris pour suivre les cours René Simon. Il y côtoie Jacques Balutin, Jacques Higelin, Marthe Villalonga… Une rencontre avec Pierre Fresnay va modifier sa trajectoire.

«Il m’a dit: “Ne restez pas trop longtemps dans les écoles, il faut rencontrer le public.”» Roger Jendly écoute le légendaire comédien et renonce à achever sa formation parisienne: il rentre au pays pour prendre part, dix ans durant, à l’aventure du Théâtre populaire romand.

La suite passe par d’innombrables rôles au théâtre comme au cinéma. Il a joué dans des films d’Alain Tanner, Michel Soutter, Jean-Luc Godard, Michel Piccoli, Georges Lautner… Sur scène, il est dirigé par Charles Joris, André Steiger, Luc Bondy, François Rochaix, Benno Besson, Jérôme Savary, Alain Françon… A Vidy, il a été aussi inoubliable dans Molière (Le Tartuffe, L’Ecole des maris) que dans En attendant Godot de Beckett, aux côtés de Serge Merlin, resté un ami cher. Dans le canton de Fribourg, on se souvient en particulier de mises en scène de Gisèle Sallin, au Théâtre des Osses: Monsieur Bonhomme et les incendiaires ou, surtout, L’avare, où il excellait en Harpagon. Dans un autre genre, il a récemment rendu un savoureux hommage à Robert Lamoureux (J’ai un moral à tout casser), accompagné au piano par son frère Max Jendly.

Pour «son engagement exceptionnel en faveur u théâtre en Suisse», Roger Jendly a reçu en 2006 l’anneau Hans-Reinhart, la plus prestigieuse distinction helvétique dans ce domaine.

Posté le par Eric dans Spectacles, Théâtre Déposer votre commentaire

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