BD et western: à l’ouest, du nouveau

Le retour du western marque la bande dessinée de ce début d’année. Vachers, fossoyeurs et pistoleros rivalisent d’ingéniosité pour renouveler un genre qu’on croyait éteint. Et ça marche.


Par Romain Meyer

On pensait le western mort avec les derniers vestiges du rêve américain. Pourtant, pas moins de cinq bandes dessinées viennent rappeler la prégnance du genre, même si les grandes étendues n’ont plus rien de sauvage, que les vachers roulent en 4×4 et grossissent dans leur salon, avec un seul «o». Finis les éperons, la conduite de troupeaux, la liberté de chevaucher vers l’horizon sur des selles inconfortables et de dormir à la belle étoile. Fini également de «civiliser» l’Ouest à coups de colt, de bible et de dynamite.

Mais le mythe est toujours là, à hauteur de ceinturon. Il est né en même temps que disparaissaient les cow-boys, quand le train et les agriculteurs ont terminé le vrai travail de colonisation, à la fin du XIXe siècle. Encore quelques détails pour qu’il se fixe dans l’imaginaire collectif: le stetson et le rodéo s’imposeront grâce aux spectacles que Buffalo Bill a fait voyager au tournant du siècle.

A cheval sur les principes
La conquête de l’Ouest possède désormais ses atours, sa légende est en route. Dans un monde sans foi ni loi – selon l’expression consacrée – le héros classique amène l’ordre, la civilisation. Il est celui qui substitue la justice à la violence gratuite dans ce qui est manifestement sa destinée. Il représente la conscience d’un monde inconscient. De tous ceux-là, le plus grand, le plus fort et le plus rapide est sans conteste Lucky Luke. Un personnage droit dans ses bottes et dans sa tête, jusqu’à ce que Bouzard s’en occupe.

Avec Jolly Jumper ne répond plus, le Français donne sa propre interprétation du héros de Morris. Il va y instiller de l’humour et un hommage détourné, parfaitement foutraque, aux aventures de l’homme qui tire plus vite que son ombre. Il déploie avec verve et insolence les éléments incontournables de la série pour en donner une lecture moderne et hilarante. L’histoire: le cheval de Lucky Luke ne lui parle plus et toutes ses tentatives pour renouer le dialogue se soldent par des échecs – et des rires pour le lecteur. Ce tome marque aussi le retour inattendu de Ma Dalton et d’un très vieil ennemi. S’il ne parlera pas aux néophytes, cet album est une pépite pour les connaisseurs de la série qui n’ont pas peur de virer à l’absurde.

Les âges sombres
Mais si Lucky Luke représente le héros classique, celui du cinéma d’avant-guerre, la plupart des auteurs actuels s’inspirent des films d’après, beaucoup plus crépusculaires. Le western se mettait alors à la sauce italienne et les héros des débuts prenaient des airs sombres et ambivalents. Cela peut donner de purs moments de délectation comme le quatrième tome des aventures de Gus, le chef-d’œuvre de Blain.

Après huit ans d’attente, Happy Clem poursuit cette exploration faramineuse, axant son histoire sur l’ex-complice de Gus, qui replonge dans le monde des hors-la-loi. Blain, dans son style simple et dynamique, conte une puissante métaphore de la construction des Etats-Unis au XIXe siècle, entre violence et respectabilité.

Un bon coup de pelle
Parmi les nouveaux héros de western, deux font profession de fossoyeur. Un choix étonnant qu’Undertaker, de Xavier Dorison et Ralph Meyer, et Stern, de Frédéric et Julien Maffre, justifient de façon irréprochable. Le premier, sombre, sanglant, malsain aussi, rencontre dans son troisième et superbe tome un tueur en série aux allures d’ange.

Pour le second, l’ambiance est plus légère, celle d’une visite dans la grande ville de Kansas City. Là aussi, l’histoire part en dérapages contrôlés. Où l’on apprend que des écrivains comme Charlotte Brontë et Herman Melville peuvent se révéler très dangereux pour l’ordre public…

Dernière parution, Duke marque le retour de Hermann au genre qu’il avait déjà visité autrefois (Comanche). Sur un scénario d’Yves H., il explore la vengeance d’un as de la gâchette contre un groupe de salopards aux ordres de l’homme fort de la ville. Le récit est implacable, très classique, et finalement sans surprise.

D’une fabrique à héros, le western est devenu l’antre d’une barbarie où les bons ne sont plus sûrs de gagner, ni même d’avoir raison. A travers lui, tous les auteurs souhaitent peut-être retrouver l’Amérique qui faisait rêver, celle de tous les possibles. Et des espoirs qui se sont écrasés, depuis, contre un mur de préjugés et de violence.

Bouzard, Jolly Jumper ne répond plus, Lucky Comics; Blain, Gus, t. IV, Happy Clem, Dargaud ; Xavier Dorison et Ralph Meyer, Undertaker, t. 3, L’Ogre de Sutter Camp, Dargaud; Frédéric et Julien Maffre, Stern, t. 2, La cité des sauvages, Dargaud; Hermann et Yves H., Duke, t. 1, La boue et le sang, Le Lombard

 

Posté le par Eric dans BD Déposer votre commentaire

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