C. J. Sansom, au cœur de Londres et des années Tudor

Dernière année du règne de Henri VIII: la reine est en danger et l’avocat bossu Matthew Shardlake vient à son secours. Avec Lamentation, C. J. Sansom poursuit sa série de romans policiers à l’époque des Tudor.

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L’exécution sur le bûcher d’Anne Askew (ici la scène reconstituée dans la série télévisée Les Tudors) ouvre Lamentation, la nouvelle enquête de l’avocat bossu Matthew Shardlake.

Par Eric Bulliard

Sa première enquête (Dissolution, 2004), il l’a effectuée sous les ordres de Thomas Cromwell, en 1537. Dix ans plus tard, Matthew Shardlake, avocat bossu et solitaire aux talents de détective, est appelé par une vieille connaissance, la reine Catherine Parr en personne, dernière épouse de Henri VIII. C. J. Sansom a en effet situé ce sixième tome des aventures de son personnage fétiche durant l’ultime année de règne du vieux roi, malade et obèse.

Lamentation, sans doute le meilleur de la série, contient tout ce qui fait le charme de ces romans policiers historiques. L’Anglais C. J. Sansom (né en 1952), historien et avocat de formation, trouve la combinaison idéale entre ses connaissances de la Maison Tudor et son sens de la narration. Sans jamais perdre la tension du polar, son récit fourmille de détails, non seulement sur les aléas politiques et religieux de l’époque, mais aussi sur les vêtements, les odeurs, la vie quotidienne de Londres au XVIe siècle, dans cette Angleterre ruinée par la guerre contre la France.Lamentation

Un vol et un meurtre
A son amie Catherine Parr, Matthew Shardlake ne peut rien refuser. Surtout quand elle se retrouve en danger. En cet été 1546, la reine le convie au palais: cette protestante convaincue a écrit en secret un journal intime, Lamentation d’une pécheresse, où sont notées ses pensées religieuses. Par exemple l’idée «que ce sont la foi et l’étude de la Bible qui assurent le salut, et non pas les vains rituels». En ces temps troublés où Henri VIII s’est à nouveau tourné vers le catholicisme, de telles affirmations peuvent passer pour hérétiques.

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Catherine Parr, dernière épouse de Henri VIII

Or, le livre de la reine a été volé. On en a retrouvé un feuillet sur le corps d’un imprimeur assassiné. Il s’agit donc de résoudre cette affaire et de retrouver ce sulfureux manuscrit avant que le roi et ses conseillers n’en aient connaissance. Matthew Shardlake va rapidement se rendre compte que, en ces temps où chaque croyance et chaque mot doit être pesé, il a intérêt à agir discrètement et à se méfier de tout le monde.

Comme pour les épisodes précédents, C. J. Sansom s’appuie sur de solides recherches et de vastes connaissances historiques, les décalant légèrement par l’art du roman. Le livre de la reine, par exemple, a réellement existé, mais n’a jamais été volé.

Au bûcher, les hérétiques!
Il excelle aussi à faire sentir la peur qui se répand, au gré des changements de doctrines d’un roi convaincu que Dieu lui-même l’a nommé chef de l’Eglise d’Angleterre. Dans cette incertitude sont à l’aise ceux qui «se tenaient entre les deux camps et penchaient d’un côté ou de l’autre, au gré du vent».

Nous sommes à une époque où vous risquez le bûcher si vous refusez d’admettre que le pain et le vin, pendant la messe, deviennent réellement le corps et le sang du Christ…

Les autres se cachent, hésitent à révéler ce qu’ils pensent. Nous sommes à une époque où vous risquez le bûcher si vous refusez d’admettre que le pain et le vin, pendant la messe, deviennent réellement le corps et le sang du Christ…

Lamentation s’ouvre d’ailleurs sur une scène atroce et d’une puissance extraordinaire. C. J. Sansom raconte en détail l’exécution d’Anne Askew, brûlée lors de la «grande chasse aux hérétiques de 1546». Il n’omet rien de «la forte et désagréable odeur de la foule londonienne en été», des craquements du feu, des hurlements, de l’horrible senteur de viande rôtie, des sacs de poudre à canon attachés au cou, «afin que le paquet explose lorsque les flammes l’atteignaient, provoquant alors une mort instantanée».

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Henri VIII, d’après Hans Holbein

A l’ombre du roi
Anne Askew a aussi laissé derrière elle un livre, qui a également disparu. Shardlake se retrouve confronté à ces deux mystères, ainsi qu’à des intrigues secondaires que C. J. Sansom prend plaisir à tisser tout au long de plus de 800 pages. Il multiplie aussi les personnages, historiques pour la plupart, et décrit brillamment l’atmosphère de la Cour, avec ses gardes, ses bouffons, ses courtisans, ses bruits de couloir, ses trahisons… Le tout dans l’ombre omniprésente du roi. Shardlake l’aperçoit un jour, au cours d’une scène brève et puissante où Henri VIII, «homme naguère célèbre pour ses talents d’athlète» devenu bouffi et impotent, doit être hissé dans l’escalier par un treuil.

En annexe, C. J. Sansom ajoute une «note historique» ainsi qu’un bref «essai d’interprétation» sur «Catherine Parr et la politique de Henri VIII durant les derniers mois de son règne». De quoi rappeler que le roman demeure un excellent moyen d’éclairer des pans de l’histoire.
C. J. Sansom, Lamentation, Belfond, 848 pages

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