Miossec: «Trouver une utilité dans tout ce bordel

Son dixième album a la fougue d’une rencontre musicale intense. Dans Mammifères, Miossec aborde de nouveaux territoires, entre violon et accordéon, avec le goût de la liberté.

Miossec

Johann Riche (accordéon), Leander Lyons (guitare), Miossec et Mirabelle Gilis (violon),

Par Eric Bulliard

L ’avantage des taiseux, c’est qu’ils ne parlent pas pour rien dire… Sur la terrasse d’un grand hôtel lausannois, où il enchaîne les interviews pour la sortie de Mammifères, Christophe Miossec pèse ses mots avec une infinie gentillesse. Ce dixième album est né après un drame, au printemps dernier: le décès subit d’un ami, Rémy Kolpa Kopoul, journaliste, DJ et animateur radio. Deux jours plus tard, lors d’un hommage à RKK, Miossec rencontre la violoniste Mirabelle Gilis, puis ses musiciens, l’accordéoniste Johann Riche et le guitariste Leander Lyons.Mise en page 1

De cette formation jaillit ce Mammifères dépouillé et intense, fiévreux et organique. A découvrir d’urgence, avant de retrouver Miossec sur scène: vingt et un an après un concert resté dans l’histoire d’Ebullition, le Brestois lancera la saison anniversaire du club bullois, le 14 septembre.

A quel moment avez-vous compris qu’il y avait un disque à faire, avec ces musiciens?
Je gambergeais depuis pas mal de temps en me disant que j’allais faire un dixième disque et qu’il ne fallait pas se rater. Là-dessus, des événements arrivent et on se jette à l’eau. Il y a eu la disparition de Rémy, la rencontre avec Mirabelle, qui m’a fait rencontrer Johann.

Quand je les ai entendus improviser, violon et accordéon, j’ai tout de suite eu envie de plonger dedans. Nous avons fait une première répétition de huit heures, dans des conditions un peu rudes, puis une autre de douze heures, le lendemain. Quand il y a une telle intensité musicale, on se dit qu’on est partis!

Est-ce qu’il y avait déjà, alors, des débuts de chansons?Miossec-2
J’avais des chansons en réserve que j’ai pu proposer et j’ai vu que ça prenait. Là, je joue avec des gens qui s’arrachent la figure. Chacun a une trajectoire assez folle. Ils ne sont pas dans le circuit habituel pop ou rock, ce sont de purs musiciens, pas des accompagnateurs de chanteur.

Retrouve-t-on sur scène cette liberté, cette improvisation?
Le plaisir, c’est de savoir que le concert ne va pas ressembler à celui du lendemain ni à celui de la veille. Pour moi, l’improvisation est devenue essentielle. Et puis, arrivé à un certain âge, on n’a plus envie de raconter des conneries…

C’est surprenant de vous retrouver dans une formation avec violon et accordéon…
Moi aussi, ça me surprend! On m’aurait dit, il y a un an, que je ferais un disque avec un accordéon, j’aurais répondu: «Ouh, là… Vous êtes sûrs?» Mais il faut voir qui joue de l’accordéon: Johann, ce n’est pas de la guinguette. Rémy, qui mixait les musiques du monde entier, n’avait aucune barrière et c’est lui qui m’a poussé à ne pas avoir peur de la musique. Ça me plaisait de ne pas être de mon époque, d’avoir une proposition qui ne soit pas dans l’air du temps.

Et cette formation peut créer une énergie étonnante…
Quand on arrive en concert, nous sommes tous les quatre assis et les gens s’attendent à un petit quatuor musical qui va jouer pépère… Alors qu’on a une puissance de feu!

Vous avez commencé par présenter ce projet dans de petites salles, des lieux en marge: était-ce une volonté de tester les chansons?
Depuis longtemps, j’avais la volonté d’aller faire du bien. De faire du militantisme de terrain, en allant dans des endroits où il n’y a pas beaucoup de concerts ou qui ne vont pas bien. Pour moi, c’était la meilleure réponse à tous les événements récents: ne pas avoir à parler, mais aller jouer dans des villages dont je ne connaissais même pas le nom… Où il n’y a pas de loges, pas de lumières. On est juste là pour la musique.

Pour moi, le mot «Mammifères» englobe tout. C’est l’humilité de rappeler ce que nous sommes vraiment. Le religieux, la foi, c’est de la prétention de l’être humain qui ne veut pas voir que ces notions de paradis, de vie au-delà sont une pollution

C’est aussi pour voir ce qu’on vaut dans ces conditions. Est-ce qu’on tient le choc? Est-ce qu’on est légitime après tant d’années? Faire des concerts, voir les gens avec la banane, partager tout ça, c’est aussi se faire du bien à soi-même, se sentir un peu moins couillon. Essayer de se trouver une utilité dans tout ce bordel.

«On parle, on pleure, on rit / sur les terrasses en plein air / on n’est pas si loin du paradis… On regarde pas derrière / on se connaissait pas d’ennemis»: La vie vole aborde les attentats de Paris, avec une douceur qui rend la chanson encore plus poignante…
Il y avait une obligation d’écrire là-dessus: on ne peut plus faire de la musique, ces temps-ci, sans en parler. Après, il faut voir comment se dépatouiller avec tout ça. Si c’est pour transmettre quelque chose de noir, non… ce n’est pas un cadeau à faire. La jouer en concert sur cette atmosphère, cette sensibilité, c’est plus proche de ce que je ressens.

Cette formation réduite va de pair avec une économie de moyens dans l’écriture…
Oui, c’est devenu plus ramassé. Là, il faut que j’arrête: j’ai déjà viré tous les adjectifs, je ne cesse de réduire la voilure, de resserrer. Pour moi, la chanson, ce n’est vraiment pas de la poésie. Les paroles d’une chanson ne se lisent pas, elles sont dans l’air, elles s’écoutent. Je voulais quelque chose qui ne soit absolument pas littéraire. Rester le plus simple possible. Quand on ne délaie pas, chaque mot compte. Entre la simplicité d’un texte et sa vacuité, parfois la frontière ne tient pas à grand-chose.

C’est votre dixième album depuis Boire en 1995: quel regard portez-vous sur cette discographie?Miossec-Boire
Une discographie un peu cabossée… Je suis tellement critique que ce ne serait pas raisonnable d’en parler. Quand j’écoute certaines choses, je m’en veux de ne pas avoir été meilleur. Je trouve qu’il y a presque une obligation de la frustration: si j’étais content de moi, la suite deviendrait dure. J’ai toujours l’impression que le prochain, enfin, va être meilleur… Et c’est le cas depuis dix disques!

Le titre, Mammifères, s’est-il imposé facilement?
Pour moi, Mammifères englobe tout. C’est l’humilité de rappeler ce que nous sommes vraiment. Le religieux, la foi, c’est de la prétention de l’être humain qui ne veut pas voir que ces notions de paradis, de vie au-delà sont une pollution. Y compris chez les catholiques: je vois dans ma famille, du côté de Brest, à quel point ils se sont radicalisés ces vingt dernières années… C’est ça l’avenir?

Miossec, Mammifères, Sony Music. En concert à Bulle, Ebullition, mercredi 14 septembre. www.ebull.ch

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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