Paul Murray: la crise et la littérature, deux raisons de rire

L’Irlandais Paul Murray revient sur la crise économique qui a secoué le monde en 2008. Satire tragicomique des milieux bancaire et littéraire, son roman s’interroge aussi sur les liens entre réalité et fiction.

Devant ce Mémorial de la famine, à Dublin, une héroïne de La marque et le vide lâche qu’un jour, peut-être, une sculpture rendra hommage aux Grecs fouillant les poubelles pour trouver à manger…

 

Par Eric Bulliard

Le succès de son deuxième roman, Skippy dans les étoiles (sorti en français en 2013), l’a catapulté nouveau prodige des lettres irlandaises. Paul Murray, né en 1975, combinait avec talent drame, humour et satire. Trois ingrédients qu’il reprend pour La marque et le vide, tragicomédie corrosive sur la crise économique et (un peu) sur la littérature.

Jeune Français installé à Dublin, Claude Martingale travaille comme analyste financier pour une banque d’investissement. Il mène une existence assez terne, entre fluctuations des cours et sorties avec ses collègues. Un univers où l’on jubile à l’idée qu’un génie ait trouvé le moyen d’appliquer les antinomies providentielles aux rendements obligataires.Murray-couv

Tout change le jour où un inconnu l’aborde. Romancier, Paul explique avoir choisi Claude comme personnage de son prochain livre. Parce qu’il représente le «Everyman» parfait, le Monsieur Tout-le-monde idéal pour «montrer ce que c’est qu’être un homme moderne».

Où est le réel?
Situé vers 2008, le roman se déroule au moment où «tout autour du globe, les banques tombent comme des mouches et d’illustres dynasties financières sont balayées d’une pichenette». La crise financière frappe l’Irlande de plein fouet. Loin de se lamenter, Claude et ses collègues vont chercher comment se faire de l’argent avec la crise. Dans la rue, le peuple gronde: à Dublin, des manifestants s’installent dans des camps, déguisés en zombies.

Cet arrière-fond historique donne le sel de La marque et le vide. Paul Murray joue avec cette actualité récente, en la décalant suffisamment pour flirter avec le loufoque. Et en s’interrogeant sur l’existence même du réel, alors que «la technologie permet de changer la réalité en fiction à une échelle encore jamais expérimentée».

La banque devient alors un symbole de ce monde dématérialisé, puisqu’elle «ne produit rien de tangible et n’agit jamais qu’au sein d’un monde virtuel». Comme le martèle un supérieur de Claude: 

«Tu es trop prudent. Fourre-toi dans la tête que ce sont juste des chiffres. Ils ne sont pas réels. Tu peux en faire tout ce que tu veux.»

Critique et caricature
Dans son exploration des liens entre réalité et fiction, l’habile Paul Murray use également d’un principe éculé: le roman que nous lisons est celui dont il est question dans le récit. Il le fait avec jubilation, si bien que sa critique acerbe de l’aveuglement néolibéral se double d’un regard ironique sur la création et la littérature.

La marque et le vide n’évite pas toujours la caricature, en particulier dans ses personnages, cyniques employés de banque ou pédants du milieu littéraire. Mais le roman se révèle drôle et intelligent. Sous une apparente légèreté, il rappelle que l’effondrement financier de la décennie précédente

Paul Murray

«a coûté, aux Etats-Unis seulement, plus cher que le New Deal, le plan Marshall, les guerres de Corée et du Vietnam, la crise des caisses d’épargne et de crédit des années 1980, l’invasion de l’Irak et la totalité des fonds accordés à la NASA (alunissage compris) réunis en une somme unique et ajustés en fonction de l’inflation».

Paul Murray, La marque et le vide, Belfond, 576 pages

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