Benjamin Biolay dans l’énergie de Buenos Aires

Le nouvel album studio de Benjamin Biolay a pris vie dans l’effervescence de Buenos Aires. Entre légèreté et mélancolie, Palermo Hollywood se pose d’emblée comme une référence dans sa discographie.

Benjamin Biolay crédit Mathias Augustiniak

Benjamin Biolay a conçu à Buenos Aires un album luxuriant et élégant © Mathias Augustiniak

Par Eric Bulliard

Des violons, des chœurs, une voix enfumée et traînante, quelques mots mystérieux: «Le jour se lève enfin sur Palermo Hollywood…» D’emblée, le dernier Benjamin Biolay donne l’impression d’entrer dans un film. De pénétrer un pays de rêve, où «les filles sont belles» et où un taxi vous «dit de fumer, merci». Avec la certitude immédiate d’écouter un album majeur de la discographie du ténébreux Lyonnais.

Il n’est pas question de Sicile ni de Los Angeles dans ce Palermo Hollywood: le titre vient d’un quartier de Buenos Aires, une ville où Benjamin Biolay a ses habitudes depuis une dizaine d’années. Le disque est né là-bas, dans l’énergie de la cité du tango et du foot: Borges Futbol club reprend d’ailleurs le commentaire original du «but du siècle» signé Maradona. Eh oui, la voix de Victor Hugo Morales, ses «¡genio! ¡genio! ¡genio! ta-ta-ta-ta-ta-ta… goooooool!» et son «barrilete cosmico» («cerf-volant cosmique») font partie de l’histoire et de la légende du pays…Biolay_Palermo Hollywood_315x315_300dpi

A Buenos Aires, Biolay a côtoyé des musiciens classiques du Teatro Colon, des vedettes du bandonéon comme Martin Ferres, du charango comme Damian Verdun, de la batterie comme Fernando Samalea. L’actrice Sofia Wilhelmi a posé sa voix sur Palermo Queens et Palermo Soho. Au total, une quarantaine de titres ont jailli de cette frénésie créatrice. Palermo Hollywood en contient 14: un deuxième volet devrait rapidement lui succéder.

Solaire comme jamais
Ce serait mal connaître Benjamin Biolay que de s’attendre à un album fokloriquement latino. Il reste profondément lui-même, inventif et sombre, avec une voix de crooner, plus grave que jamais, et ce parlé-chanté, qu’il module comme personne. Mais Buenos Aires lui a donné de nouvelles couleurs. Un lyrisme à la Ennio Morricone (Palermo spleen), un sourire solaire qu’on ne lui connaissait pas (La noche ya no existe), un mélange parfaitement dosé de légèreté et de mélancolie.

Surtout, ce surdoué donne l’impression de se balader entre les genres avec une liberté bravache. On y croise des bribes de tango (quand même…) de valse ou de bossa, du clavecin, des cuivres, des percussions latines. Un chanteur lyrique surgit de nulle part, un hip-hop latino laisse sa place aux nappes de violon de Pas sommeil (où l’on entend soudain la voix de Borges)… L’album se révèle luxuriant, d’une ampleur et d’une élégance folles.

Tubes et album-concept
Déroulant le fil banal d’un homme «sans amour et sans félicité» qui déambule en ville, Biolay n’oublie pas d’ancrer son histoire dans la réalité. En évoquant l’insomnie dans Pas sommeil ou le chômage dans Ressources humaines, en duo franco-italien avec son ex-femme Chiara Mastroianni.

Avec une aisance déroutante, il réussit en outre à faire cohabiter l’album-concept et les tubes en puissance (comme le chaloupé Miss Miss ou l’implacable Pas d’ici). Alors, bien sûr, d’aucuns vont encore et toujours rappeler l’influence de Gainsbourg (évidente par exemple sur Tendresse année zéro) et s’agacer de ses moues durant les interviews télévisées. Peu importe: l’essentiel reste que Benjamin Biolay se montre à la hauteur de La superbe (son album référence jusqu’ici). Et qu’il balance une claque magistrale à la chanson française.

Benjamin Biolay, Palermo Hollywood, Universal

 

Quinze ans de carrière en trois jalons

Rose Kennedy (2001)
Biolay-RoseLa révélation. Il a commencé à faire parler de lui comme auteur-compositeur et arrangeur, notamment pour Keren Ann. Le grand public découvre leurs noms en même temps: le duo a signé Jardin d’hiver, qui a sorti Henri Salvador du purgatoire. Nouveau cap en ce début des années 2000: le jeune Lyonnais (il est né en 1973) marque les esprits avec ce premier album personnel.

D’emblée, il refuse toute concession, aussi bien pour la pochette du disque que pour son contenu. Sur fond de pop-jazz soyeux, avec une voix grave et des cordes qui lui valent déjà des comparaisons avec Gainsbourg, cet album-concept évoque à sa manière l’histoire de la famille Kennedy. Pas de tube ni d’immense succès public, mais une Victoire de la musique 2002 pour la révélation de l’année et une évidence: ce gars-là a un talent hors du commun.

Trash yéyé (2007)
Biolay-trashLa rupture. Après ce début somptueux, Négatif (2003) et A l’origine (2005) ont confirmé tout le bien que l’on pouvait penser de Benjamin Biolay. Mais son talent agace. On prend sa timidité pour de l’arrogance, il multiplie les déclarations provocatrices et les piques violentes contre la chanson française. Exigeant, Biolay refuse de se laisser dicter une quelconque direction artistique: Trash yéyé va encore plus loin dans l’audace sophistiquée.

Les boucles électro se mêlent aux cordes, le ton se fait plus sombre, Dans la Merco Benz fait rimer «connasse» avec «pétasse», Regarder la lumière trouve une ampleur qu’on ne lui connaissait pas. Sombre et complexe, l’album évoque le spleen de la rupture sentimentale et ne trouve pas vraiment son public. Ce deuxième échec commercial après celui d’A l’origine sera de trop: Benjamin Biolay vit une autre forme de rupture, avec son label Virgin / EMI, qui ne connaîtra pas la déferlante La superbe

La superbe (2009)
Biolay-superbeLa consécration. Peu de disques auront si bien porté leur titre. En un double album et 22 morceaux, Benjamin Biolay «envoie en l’air toute la chanson française», comme l’écrit alors L’Express, qui le considère comme «le meilleur album de l’année». D’une classe extraordinaire, La superbe trace le portrait complexe d’un homme blessé, mélancolique, rageur… Surtout, le disque brise les codes, alterne luxuriance et sobriété, semble à la fois partir dans tous les sens et garder une cohérence extraordinaire.

Cette fois-ci, le succès critique se double d’une vraie reconnaissance publique. Deux Victoires de la musique viennent récompenser cette œuvre majeure, celles de l’album chansons/variété et de l’interprète masculin de l’année. Benjamin Biolay est alors plus demandé que jamais, multiplie les collaborations, mais trouve encore le temps de sortir un Vengeance plus rock en 2012 et un inattendu hommage à Trenet l’année dernière. Sans oublier de chaque année se rendre à Buenos Aires…

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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