A priori, on craint que Lolvé Tillmanns ait visé bien haut pour son deuxième roman (après 33, rue des Grottes, paru en 2014). Quand la quatrième de couverture annonce «un grand roman familial, une fresque qui remonte le temps et se frotte à notre histoire», il y a de quoi frémir et craindre le déjà-lu. Surtout que, au récit polyphonique, Rosa ajoute un lourd secret de famille et l’ombre de la Shoah. Tout ça ne va-t-il pas rendre ces plus de 300 pages indigestes?

Il faut toujours se méfier des a priori: le livre refermé, on se dit que la jeune auteure genevoise y est allée franchement et qu’elle a drôlement bien fait. Elle n’a reculé devant aucun des écueils du «grand roman familial», préférant les affronter tête baissée, avec une ambition brillamment assumée.

Hospitalisée à la suite d’une attaque, Rosa confie une mission à son petit-fils David, empêtré dans la toxicomanie: «Je veux un livre, David. Avant de mourir, je veux un livre dans lequel je pourrai lire l’histoire de ma famille.» Le jeune homme se met alors à enregistrer les histoires de chacun et à les retranscrire.

Lolvé Tillmanns

Dans un crescendo habilement mené, voici que défile l’histoire des Mancini, Lilah l’insouciante benjamine, ses frères (David et les jumeaux Aaron et Isaac), les parents Mario et Becca, née Levine, artiste torturée et pivot ravagé de la famille, les grands-parents Isaac et Rosa…

Multipliant les points de vue, entre Genève et New York, Rosa évoque les questions d’identité, qu’elles soient juive ou italienne, les liens familiaux, les névroses, les non-dits, mais aussi l’art comme moyen de transmission de la mémoire. Son puzzle, rigoureusement construit, prend forme peu à peu et éclaire tous les recoins, même les plus douloureux, d’une famille où chacun donne l’impression de lutter comme il peut, avec une touchante humanité. Un «grand roman familial», en somme.

Par Eric Bulliard
Lolvé Tillmanns, Rosa, Editions Cousu Mouche, 328 pages