Joël Dicker, avec l’efficacité pour talent

L’incroyable succès de La vérité sur l’affaire Harry Quebert aurait pu bloquer Joël Dicker. Il n’en est rien: trois ans après, le jeune auteur genevois revient avec Le livre des Baltimore. Avec le même personnage central, la même habileté de construction… et les mêmes points faibles.

Dicker

Par Eric Bulliard

Il a tout pour agacer les tenants du bon goût littéraire. La jeunesse triomphante (il est né en 1985), une belle gueule de Genevois de bonne famille, une absence de prétention intellectuelle et, surtout, un immense succès populaire.

Des semaines que l’on nous bassine avec Joël Dicker, avant même que l’encre de son nouveau roman n’ait séché. Aujourd’hui, les libraires ont enfin pu entasser des piles du Livre des Baltimore et l’on ne peut que lui souhaiter le même succès que La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Peu de chance toutefois: 1,5 ou 2 ou 3 millions d’exemplaires (on ne sait plus très bien), ça ne se répète pas à chaque parution…

Joël Dicker a tout fait pour confirmer son statut de phénomène. Il a repris la recette gagnante, faite de construction rigoureuse, de tension habilement entretenue, d’intrigues qui se croisent, d’aller et retour entre le présent et le passé. Présenté ainsi, trouver le succès n’a pas l’air bien compliqué… Encore faut-il y ajouter la rigueur et un talent dans l’efficacité qui doit autant à la mécanique de précision qu’à la littérature.le-livre-des-baltimore-656964

Il a même ressorti le personnage de Marcus Goldman, écrivain à succès qui, dans son précédent roman, enquêtait sur le passé de son ancien maître, accusé de meurtre. Dans Le livre des Baltimore, il est toujours écrivain à succès et à nouveau en panne d’inspiration.

Ce jeune New-Yorkais bon teint passe l’hiver à Boca Raton, dans cette Floride qui lui est chère, pour une raison que le roman dévoilera peu à peu. Joël Dicker reprend même ce poncif: le narrateur se mettra à écrire le livre que nous sommes en train de lire.

L’art du suspense
Cette fois-ci, le roman s’intéresse surtout à l’enfance de Marcus Goldman, partagée entre deux familles: la sienne, classe moyenne sans histoire – les Goldman-de-Montclair – et celle de son oncle, de sa tante et de ses cousins – les Goldman-de-Baltimore. Pour eux, tout semble réussir. Le jeune Marcus envie cette aisance et ce luxe, qu’il partage dès qu’il le peut et dont le lecteur découvrira peu à peu les origines. Et puis, il y a là Alexandra, l’adolescente qui sème le trouble parmi les cousins, qui deviendra star de la chanson… et compagne de Marcus, jusqu’au drame.

Parce qu’il y a eu un drame. Le Drame, comme l’appelle le narrateur, a rompu cet équilibre et marqué la fin des années d’insouciance. Evidemment, seules les dernières pages en dévoileront la teneur et Joël Dicker ne se prive pas pour insister lourdement sur cette attente, sur l’air de «à ce moment-là, rien ne laissait présager ce qui allait arriver». Au point que, parfois, l’envie vient de lui dire: OK, c’est bon, on a compris qu’il allait y avoir un drame…

Joël Dicker exagère parfois, mais il a l’art d’alimenter le suspense. Son roman avance en entremêlant différentes époques et intrigues secondaires, qui finissent par se rejoindre. Le livre des Baltimore a une nouvelle fois des allures de page turner, comme disent les Anglo-Saxons, de ces livres dont on tourne les pages sans s’en rendre compte. Parfois, on n’en demande pas plus.

Postadolescent
Son histoire fonctionne d’autant mieux qu’elle touche des zones sensibles et universelles. Au fil des pages, il est question de ces amitiés adolescentes que l’on jure éternelles, de la jalousie face à la réussite de l’autre, de l’admiration pour un oncle idéalisé, du destin qui semble tout tracé, mais qui finit par se briser (parce que oui, il y aura un drame).

L’essentiel du livre se situe dans ce temps béni où tout est encore possible. Où la jeunesse brûle de dévorer la vie: «Rêve et rêve en grand! Seuls survivent les rêves les plus grands. Les autres sont effacés par la pluie et balayés par le vent», lâche Marcus à Alexandra. Et le narrateur de prendre conscience que l’âge adulte l’attend au coin de la rue et avec lui les désillusions, la découverte de ce que la fougue de la jeunesse l’empêchait de voir.

Roman postadolescent, Le livre des Baltimore ne cherche pas la réflexion sur la condition humaine ou sur notre société. Joël Dicker a beau se calquer sur une certaine littérature américaine, il n’a rien d’un James Ellroy ni d’un Philip Roth. Mais il reste largement plus intéressant que les premiers Guillaume Musso ou Marc Levy venus. Nous sommes aussi dans le registre du divertissement, mais sans la niaiserie de ces deux autres poids lourds de l’édition.

Une place à part
Reste que sous sa plume se lisent des phrases d’une lourdeur rebutante: «L’avoir si proche de moi me faisait me rendre compte combien j’étais heureux lorsqu’elle était là.» Tout n’est pas de ce tonneau-là, heureusement, et Dicker ne se revendique aucunement en styliste, mais pour un romancier récompensé en 2012 par le Grand prix du roman de l’Académie française, de telles maladresses laissent pantois. Tout comme la naïveté des dialogues.Dicker2

Pas de quoi bouder le simple plaisir de suivre le Gang des Goldman et de découvrir comment ce drôle d’auteur finit par tisser son récit. Avec ce troisième roman, le Genevois confirme sa place à part dans la littérature non seulement romande, mais francophone. A la fois populaire et loin des modes (qui sont à l’autofiction, à la biographie et au fait divers romancés), accessible et rigoureusement construit, malin et sans prise de tête. Inclassable et, donc, agaçant.

Joël Dicker, Le livre des Baltimore, Editions de Fallois, 480 pages

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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