Ferdinand Hodler du côté de l’intime

Jusqu’au 4 octobre, le Musée Jenisch, à Vevey, expose quel­que 160 œuvres sur papier de Ferdinand Hodler. Elles retracent la carrière du peintre et lèvent un coin de voile sur le fascinant processus de création.

Etude pour l'autoportrait dit de NÇris, 1915
Par Eric Bulliard
Vu de loin, Ferdinand Hodler (1853-1918) ressemble à un monument national. L’exposition L’infini du geste, au Musée Jenisch, à Vevey, propose de le découvrir de plus près. Pour le révéler dans son humanité, jusque dans son intimité.

Au total, dans les six salles du rez, sont présentés quelque 160 dessins, 11 peintures et un buste en plâtre, tous issus de la collection Schindler (lire ci-dessous). L’exposition retrace le parcours de Hodler, de manière chrono-thématique, des œuvres de jeunesse aux saisissants portraits de Valentine Godé-Darel, sa maîtresse, sur son lit de mort. A l’étage, un film sur Rudolf Schindler (1914-2015) permet de voir le collectionneur évoquer sa fascination pour ces fragiles œuvres sur papier.Autoportrait, 1915-1916 2

Comme chaque exposition du genre, L’infini du geste donne le sentiment de lever un coin de voile sur le processus de création. Le dessin, qu’il pratique avec un coup de crayon magistral, demeure en effet pour Hodler un outil de travail. Il cherche, essaie, esquisse, parfois à plusieurs reprises sur une même feuille. Les œuvres vont du croquis rapide dans un carnet à l’étude de figure et de composition plus ou moins aboutie.

Etude de figure pour Le Jour, vers 1898-1899Un peintre en recherche
Dès ses débuts – comme en témoi­gne la magnifique Etude pour Le meunier, son fils et l’âne de 1881 –, Hodler parvient en quelques traits à créer une scène, un mouvement, une atmosphère. «Le trait, à lui seul, exprime l’infinité», expliquait-il dans La mission de l’artiste, célèbre conférence donnée à Fribourg en 1897. Dans sa quête perfectionniste, il s’aidera régulièrement de la «vitre de Dürer», cette plaque de verre où le peintre trace le contour du modèle, avant de le reporter sur le papier.

Autre intérêt de l’exposition: le visiteur suit Hodler dans les tâtonnements qui aboutiront à certaines de ses œuvres les plus célèbres. Figures et composition du Jour, mis ici en parallèle avec L’heure sacrée, font par exemple l’objet de recherches méticuleuses. Parfois à l’aide de simples traits de crayon, ailleurs de manière plus détaillée, à la plume ou à l’aquarelle.

Les drames et les failles
Hodler multipliera également les travaux préparatoires pour les peintures monumentales tardives comme Regard dans l’infini et Floraison, deux Etude de composition pour Floraison, 1911-1917commandes reçues en 1910 et 1913. Inlassablement, il capte les mouvements de personnages qui semblent danser dans l’air. Il utilise même les collages pour chercher le rythme et la meilleure utilisation de l’espace.

Au-delà de l’intimité de l’artiste, il y a aussi celle de l’homme. Oublié, le monument national: Hodler se livre avec ses drames et ses failles, dans ses autoportraits (il en a réalisé 115 environ, dans des moments difficiles de sa vie) ou dans les dessins de Valentine Godé-Darel.Etude de composition pour Floraison, 1916-1917

Rencontrée en 1908, cette jeune Parisienne devient rapidement la muse, modèle et maîtresse de l’artiste. Elle lui donne une fille, en 1913. La jeune femme a appris en même temps sa grossesse et son cancer… Elle meurt en 1915, après une longue agonie.

La mort au plus près
La mort, Hodler l’a côtoyée dès son plus jeune âge: il a perdu son père à 7 ans, sa mère à 14 et a survécu à tous ses frères et sœurs, alors qu’il était l’aîné de six enfants. Au chevet de sa maîtresse, il regarde en face l’avancée de la maladie et multiplie les portraits, quelque 200 dessins et tableaux au total.Valentine_gd_7

Les dernières œuvres de cette suite terrible et magnifique montrent Valentine Godé-Darel les yeux clos, la bouche ouverte. On y lit la souffrance infinie de la moribonde mais aussi l’impuissance, déchirante, de celui qui la veille: il n’a que son crayon pour capter ce qu’il reste de vie dans le visage aimé.

Quelques mois après la disparition de Valentine, Hodler séjourne dans la station thermale de Néris-les-Bains, en Auvergne. Il y réalise l’autoportrait dit «de Néris», dont le Musée Jenisch expose une étude d’une poignante sobriété. Tracé d’une plume délicate, ce visage taillé par les ans laisse voir toute la détresse et la mélancolie d’un homme mis à nu.

Vevey, Musée Jenisch, jusqu’au 4 octobre. www.museejenisch.ch. La donation Schindler fait aussi l’objet d’une publication: Ferdinand Hodler, la collection Rudolf Schindler, Musée Jenisch / Scheidegger & Spiess, 268 pages

 

Une collection de 660 œuvres
Artiste, enseignant puis directeur de l’Ecole d’arts visuels de Berne et Bienne, Rudolf Schindler organise en 1955 une exposition de Ferdinand Hodler, à Bienne. Il apprend à ce moment-là que la veuve du peintre, Berthe Hodler-Jacques, vit toujours. Entre 1956 et 1957, il lui rend plusieurs visites et achète au moins 135 feuilles. Grâce à d’autres achats auprès des héritiers de Hodler, sa collection atteindra 660 pièces, dont la majorité n’a jamais été montrée au public. Rudolf Schindler a déposé un premier lot au Musée Jenisch en 1999. Deux autres dépôts suivront, jusqu’à ce que le collectionneur décide, à l’âge de 100 ans, de faire don de l’ensemble de son fonds. Rudolf Schindler est mort en février dernier, quelques mois avant l’ouverture de l’exposition.

Schindler

Posté le par Eric dans Beaux-Arts, Exposition Déposer votre commentaire

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