Anthony Perkins, prisonnier de Norman Bates

Il a tenté en vain d’y échapper: le rôle de Norman Bates a collé à la peau d’Anthony Perkins (1932-1992). Vingt ans après Psychose, il a fini par l’accepter en tournant dans trois suites du film de Hitchcock. Sixième épisode de notre série sur les artistes connus par une seule œuvre.

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Par Eric Bulliard
Il a joué sous la direction d’Orson Welles, de George Cukor, d’Anthony Mann. Il a reçu un prix d’interprétation à Cannes pour Aimez-vous Brahms? Mais rien n’y fait: Anthony Perkins reste l’interprète de Norman Bates, le tueur de Psychose et de ses suites. A la fois injuste et inévitable.

Ce n’est pas faute d’avoir lutté, multiplié les rôles, refusé ceux qu’il estimait trop proches de Bates. Au point de préférer rester deux ans sans travail et de nourrir une rancœur contre le système hollywoodien. Mais il a fini par céder: dans les dix dernières années de sa vie, Perkins est redevenu trois fois le sinistre psychopathe.

Lui-même appelait le «Hamlet des rôles d’horreur», ce Norman Bates qu’il a maudit et aimé, qui a fait de lui une star mondiale et gâché sa carrière. Il n’a su s’en défaire, peut-être parce qu’il reconnaissait un peu de ses tourments dans ceux de cet homme traumatisé par sa mère…

Né en 1932, Anthony Perkins grandit en fils unique choyé par sa maman. Osgood Perkins, son père comédien (notamment dans le Scarface de Howard Hawks en 1932), ne rentre que rarement à la maison. Dans un portrait édifiant paru dans le magazine People à la sortie de Psychose 2, l’interprète de Bates reconnaît qu’il était «anormalement attaché à sa mère». Il n’avait que 5 ans quand son père est mort d’une crise cardiaque, à 45 ans. L’enfant se croit responsable, lui qui, dans sa jalousie «œdipienne sous une forme prononcée» selon ses propres termes, souhaitait sa disparition.Perkins-jeune

Cet «attachement anormal» à sa mère durera jusqu’à l’âge adulte, caresses ambiguës comprises. A Boston, le jeune homme grandit dans ce mélange détonnant de crainte, d’amour malsain et de sentiment de culpabilité: «Elle contrôlait tout de ma vie, y compris mes pensées et mes sentiments.» Il décide de suivre les traces de ce père, dont tout le monde lui rappelle la grandeur.

Le nouveau James Dean
A 20 ans, après quelques expériences théâtrales, Anthony Perkins part en stop pour tenter sa chance à Los Angeles. Alors qu’il donne la réplique sur un casting, il est repéré par George Cukor, qui l’engage pour The actress (1953). Très vite, sa grâce longiligne séduit les réalisateurs. Elia Kazan l’engage au théâtre et hésite à lui donner le rôle principal d’A l’est d’Eden. Il lui préfère finalement James Dean. A l’époque, la presse compare volontiers les deux acteurs.

En 1956, son rôle dans La loi du seigneur, aux côtés de Gary Cooper lui vaut une nomination aux oscars. Voici Anthony Perkins parmi les jeunes acteurs les plus en vue de Hollywood. Il joue avec Sophia Loren (Désir sous les ormes, 1958), Shirley MacLaine (La meneuse de jeu, 1958), Audrey Hepburn (Vertes demeures, 1959).

Après avoir acheté les droits de Psychose, roman de Robert Bloch paru en 1959, Alfred Hitchcock a une intuition géniale: confier à ce jeune premier le rôle du psychopathe qui tue en se prenant pour sa mère. Géniale car inattendue: le livre décrit ce gérant de motel comme un homme entre deux âges, obèse et alcoolique. Perkins a 27 ans, une maigreur androgyne et, surtout, une nervosité et une fragilité qui le rendent d’autant plus effrayant. Il se révèle parfait en homme tourmenté par une mère qui contrôle jusqu’à ses pensées et ses sentiments… «Il était né pour ce rôle», estime Richard Franklin, réalisateur de Psychose 2.

L’Europe pour fuir le destin
Avec cette prestation inoubliable et le succès du film, tout bascule: Norman Bates colle à la peau d’Anthony Perkins. La frustration croît chez cet acteur qui rêve de comédies et de rôles légers que personne ne lui propose. Il fuit cette fatalité en Europe: un an après son prix à Cannes, il joue
Joseph K dans Le procès d’Orson Welles (avec Jeanne Moreau). On le voit ensuite chez Edouard Molinaro (Une ravissante idiote), René Clément (Paris brûle-t-il?), Claude Chabrol (Le scandale, La décade prodigieuse)…Perkins-décade

Rien n’y fait: chacune de ses prestations est jugée à l’aune de Norman Bates. Alors, quand naît l’idée d’un Psychose 2, Anthony Perkins commence par refuser. Une rumeur lui fait changer d’avis: Christopher Walken serait prêt à reprendre le rôle. Perkins préfère s’en charger et scelle un destin qu’il accepte au point de réaliser lui-même le troisième volet. Puis d’enchaîner avec un quatrième indigne de son talent (lire ci-dessous).

«Ne m’enfermez pas ici»
Etrange parcours pour cet homme cultivé, distingué, mais fragile et profondément tourmenté. Secret, décrit par certains amis comme quasi mutique, il se révélait exquis dans les interviews, données volontiers en français. Longtemps terrifié, avouait-il, par l’idée même de toucher une femme, il aurait refusé les avances d’Ava Gardner, Brigitte Bardot, Jane Fonda, Ingrid Bergman… avant de céder à Victoria Principal. En revanche, il connut nombre de relations homosexuelles, avant et après son mariage avec Berry Berenson, en 1973.

Dans la terreur que son homosexualité soit découverte et lui ferme encore plus de portes, Anthony Perkins a également caché sa maladie: jusqu’à ses derniers jours, seule son épouse et quelques très proches savaient qu’il avait le sida. La nouvelle n’a été rendue publique que trois jours après sa mort.

A sa disparition, le 12 septembre 1992, tous les médias évoquent la disparition de l’interprète de Norman Bates. Le voici à jamais prisonnier de cette maison et de ce motel maudits, dont il n’a su ou pu s’échapper. Sur son urne funéraire est gravé le titre d’une vieille chanson folk: Don’t fence me in, «Ne m’enfermez pas ici.»

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Toutes à oublier, ces suites?
Après le succès du film de Hitchcock, en 1960, il faudra attendre plus de vingt ans et la mort du maître (1980) pour que l’histoire de Psychose reprenne: son assistant-réalisateur, Hilton A. Green, produit cette suite. La réalisation est confiée à un jeune Australien, Richard Franklin, qui va surtout rendre hommage à Hitchcock. Le scénariste Tom Holland imagine la sortie de Norman Bates de l’institution psychiatrique où il a été enfermé vingt-deux ans. De retour à son motel, il prend une jeune fille paumée sous son aile.

Anthony Perkins retrouve son personnage avec un naturel stupéfiant. Ce Bates presque quinquagénaire n’a plus la grâce juvénile, mais reste profondément troublant, mal à l’aise dans ce corps trop grand. Il craint tellement de retomber dans la folie qu’il en devient touchant. A ses côtés, Vera Miles reprend son rôle de sœur de Marion Crane (assassinée sous la douche dans Psychose, sous les traits de Janet Leigh) qui ne peut Perkins-Lillyaccepter cette disparition. Sa fille, accueillie par Bates, est interprétée par Meg Tilly (Fame), après le refus de Jamie Lee Curtis, révélée par Halloween et fille de Janet Leigh.
A l’été 1983, cette suite fait un carton au box-office américain, où elle atteint la deuxième place. Aujourd’hui encore, Quentin Tarantino (qui n’a pas une haute opinion de Hitchcock) affirme la préférer au premier volet. Elle reste en tout cas plutôt respectable, avec son scénario malin, avant que les coups de théâtre ne tombent en cascade.

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Le troisième épisode (1986) mérite qu’on s’en souvienne pour son réalisateur: Anthony Perkins passe pour la première fois derrière la caméra. Après une ouverture en hommage à Vertigo, son film, très plat, se montre plus influencé par la vague d’épouvante de l’époque (Halloween, Vendredi 13, Les griffes de la nuit… ) que par le sens de la suggestion hitchcockien. Malgré l’échec de ce numéro trois, Perkins reprend son rôle fétiche pour un quatrième épisode destiné à la TV (1990). A nouveau sorti de prison (!) et marié, Norman Bates raconte son enfance lors d’une émission radio. Cette fois-ci, même l’acteur, malade du sida, ne semble plus y croire.

Comme dans ce Psychose 4 raté, l’enfance et la jeunesse de Norman Bates se retrouveront au cœur d’une série, Bates Motel, lancée en 2013. Enfin, citons encore le Psychose de Gus Van Sant qui, en 1998, reprend l’original plan par plan, mais en couleurs. Son mérite, au-delà de l’hommage virtuose: il coupe l’herbe sous le pied de tous ceux qui envisageraient un autre remake…

 

Destins d’une drôle de famille
En parallèle au cinéma, Anthony Perkins a enregistré en début de carrière plusieurs albums et 45 tours de sa voix de crooner, dont certains en français. Ce goût pour la musique, il l’a transmis à son fils Elvis, né en 1976, auteur de trois albums de chanson-folk élégante, dont le dernier I Aubade, est paru ce printemps.

Né en 1974, son frère Osgood (comme son grand-père), dit Oz Perkins, poursuit une carrière dans le cinéma: acteur notamment dans le Star Trek de J. J. Abrams en 2009, il réalise en ce moment son premier long métrage, February. Un film d’horreur, comme de bien entendu.
Les deux frères partagent un destin douloureux: leur père est mort du sida à l’âge de 60 ans, alors qu’ils avaient 16 et 18 ans et ils ont perdu leur mère, Berry Berenson, quelques années plus tard. Sœur de Marisa Berenson (actrice dans Mort à Venise de Visconti, Barry Lyndon de Kubrick…), cette photographe, mannequin et comédienne se trouvait dans le premier avion qui s’est écrasé sur le World Trade Center, le 11 septembre 2001.

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Posté le par Eric dans Cinéma, Série d'été | Et puis plus rien 1 Commenter

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