Dominique A lance avec «Eléor» son appel au large

Trois ans après le succès de Vers les lueurs, Dominique A revient à la sobriété. Eléor, son onzième album, résonne comme un appel au grand large, entre lyrisme retenu et ballades poignantes.

Dominique A 2014 - 7 (c)Richard Dumas
Par Eric Bulliard
Une forme de retour à l’essentiel. Après le foisonnement de Vers les lueurs (2012), Dominique A revient à la simplicité qui lui convient si bien. Le chanteur nantais y ajoute une sérénité lumineuse inédite. Epuré, Eléor, son onzième album, paraît d’une évidence absolue et immédiate.

De ces douze titres directs, bien carrés (seule la chanson titre dépasse les quatre minutes) se dégagent un aplomb, une impression d’assurance. Et une ouverture sur le monde: Eléor a des allures d’élan et d’envol. D’un voyage en Nouvelle-Zélande, Dominique A a ramené l’entêtant Central Otago (pas la plus grande réussite du disque), qui a donné le ton à tout l’album.Dominique A, 2014

Le périple s’ouvre par un magistral Cap Farvel (le point le plus au sud du Groënland), passe Par le Canada et ses violons entraînants, se termine en Oklahoma. Entre-temps, il y aura encore eu un détour par l’Espagne (Semana Santa) et par Eléor, inspiré par Elleore, île minuscule et microroyaume au large du Danemark.

A ses voyages répondent les espaces intimes. Dominique A rappelle qu’il sait aussi émouvoir par de sublimes ballades, avec cette voix qui semble toujours à un fil de se briser. Dans Au revoir mon amour, il la pose sur une douce mélodie de sa compagne, Laetitia Velma, avec des mots poignants de simplicité «peut-être mon amour / mieux vaut ne pas s’aimer / qu’un jour ne plus s’aimer».

Chef-d’œuvre tranquille
L’océan, aussi, brille dans cette veine émouvante, avec ces violons mélancoliques qui montent comme une vague. «Si ma ligne de vie venait à se casser (…) j’aimerais pour finir regarder l’océan.»

A 46 ans, Dominique A mar­que ainsi une nouvelle étape dans une discographie impressionnante de rigueur et d’intensité (lire ci-dessous). Nettement moins expérimental que Remué, plus étoffé que La musique, moins précieux que Vers les lueurs, moins rock que presque tous les autres, Eléor a des allures de chef-d’œuvre tranquille. Comme l’accomplissement d’une œuvre, avec ses souvenirs (Celle qui ne me quittera jamais, légèrement en retrait), ses refrains tendus (Passer nous voir), ses violons très présents, mais jamais mielleux. Et, au passage, une évocation des dictatures d’hier et d’aujourd’hui, dans Une autre vie au rythme fiévreux si caractéristique.eleor

Cinéma et classicisme
Dans l’écriture aussi, Dominique A semble avoir trouvé un équilibre entre un lyrisme retenu et le réalisme. Même si certains demeurent évanescents, la plupart de ses textes paraissent plus cinématographiques que jamais, à l’image de cet Oklahoma 1932, évocation très visuelle de la grande dépression: «Le long des voies ferrées / il y avait tous ces gens / qui attendaient / parfois on leur don­- nait / le peu qu’on ne mangerait pas.»

Il faut parler encore d’Eléor, le single qui circule depuis quelque temps déjà. Un sommet étrange, d’un classicisme grandiose, avec cette voix qui se lance sur une mélodie aventureuse. Avec, de plus, cet appel irrésistible: «Quand de tout vous serez lassé / Juste un canal à traverser / Rejoignez-moi / à Eléor.» C’est le côté rassurant d’un tel disque: quand on sera lassé de la médiocrité qui s’entend de nos jours, on pourra toujours retourner à Eléor.
Dominique A, Eléor, Disques Office

 

Dominique A en trois albums

 

la-memoire-neuveLa mémoire neuve (1995)
Le lancement. Il commençait à faire parler de lui, avec son drôle de nom réduit à une initiale (il s’appelle en réalité Ané). Ses disques s’échangeaient entre ses premiers fans, conscients que Dominique A allait compter dans l’histoire de la chanson française. La fossette avait marqué les esprits, avec ce Courage des oiseaux qui n’a pas pris une ride. Et voilà qu’en 1995 déboule La mémoire neuve, avec son tube, Le Twenty-Two bar. Une cavalcade implacable, où vibre cette voix à la fois légèrement tremblée et énergique. La même année, Miossec sort Boire: la chanson française prend une gifle, qui la marque durablement. De la génération post-Bashung, dans le sillage de Jean-Louis Murat, ils resteront parmi les plus influents, avec leur manière de marier rock, chanson et poésie. Dominique A se retrouve catalogué chef de file d’une prétendue «nouvelle scène française» ou, pire, de la «chan­­son minimaliste» où l’on plaçait aussi Mathieu Boogaerts et Philippe Katerine.

 

 

auguriAuguri (2001)
Le retour. Quatre ans après La mémoire neuve, Dominique A prend un virage radical avec Remué. Un disque âpre, qui pousse l’expérimentation sombre jusqu’au dépressif. Echec commercial inévitable. En 2001, il revient dans la lumière avec un Auguri, moins torturé, plus lisible. L’album est enregistré au Pays de Galles, avec John Parish, producteur de PJ Harvey et parvient à l’équilibre entre le rock sombre et les ballades. Curieusement, les deux titres qui rencontrent le plus de succès sont des reprises, Je t’ai toujours aimée des Belges Polyphonic Size et, surtout, Les enfants du Pirée, charmante version d’un titre de Dalida. Après dix ans de carrière, Dominique A se trouve désormais bien installé, mais jamais satisfait. Il continue à explorer différentes voies, s’éloigne parfois de l’austérité qui a fait sa réputation et aligne trois albums irréprochables, l’aventureux Tout sera comme avant (2004), L’horizon (2006) et La musique (2009), aux étranges couleurs synthé-kitsch, où brille un des sommets de son œuvre, Hasta que el cuerpo aguante.

 

versleslueurs_gVers les lueurs (2012)
La victoire. La musique (2009) a été enregistrée en solitaire, à la maison, dans une ambiance boîtes à rythmes sympathique. Avec Vers les lueurs, nouveau virage. Plus que la formation rock, c’est un quintet à vent qui tient la vedette, avec ses flûtes et sa clarinette quasi omniprésentes. Dominique A signe là son album le moins rugueux, le plus sucré. De là à dire qu’il a été marqué par ses collaborations, les années précédentes, avec Calogero et Michel Delpech… Après le superbe Rendez-nous la lumière (qui a presque un parfum de Gérard Manset), le disque prend des directions étranges, au risque de se perdre dans des arrangements touffus. N’empêche que Vers les lueurs trouve son public (il atteint la 7e place des meilleures ventes en France) et que Dominique A se voit enfin reconnu au-delà des critiques branchés: en 2013, il remporte la Victoire de la musique de l’artiste masculin de l’année.

 

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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