Henry Moore: à travers l’art du XXe siècle

Le Centre Paul Klee, à Berne, consacre une importante exposition à Henry Moore. Le sculpteur anglais, l’un des plus marquants du XXe siècle, apparaît dans sa fascinante complexité, au carrefour des styles.

Working Model for Three Way Piece No. 2: Archer
Par Eric Bulliard

Une phrase sur le mur, parmi d’autres: «Une œuvre dont le but n’est pas de reproduire l’apparence de la nature n’implique pas une fuite devant la vie: elle peut être une pénétration de la réalité.» Ainsi apparaît l’art de Henry Moore, objet d’une importante rétrospective au Centre Paul Klee, à Berne: plein de vie, ancré dans la réalité, sans imiter la nature ni la rejeter.

De Henry Moore (1898-1986), sculpteur majeur du XXe siècle, on connaît le goût pour la douceur des courbes, pour les grands formats et les figures humaines stylisées. A travers près de 30 sculptures et une quarantaine de dessins en provenance de la Tate Gallery et du British Council, l’exposition de Berne dépasse cette vision et révèle à quel point son œuvre balaie une large partie de l’histoire de l’art mondial.MotherandChild

Si expérimental et moderne qu’il puisse paraître, le travail du sculpteur anglais ne naît pas ex nihilo. Les premières sections de l’exposition montrent à quel point il dialogue avec la tradition, en particulier avec le thème classique de la mère et l’enfant, qu’il ne cessera d’explorer pour sa richesse formelle et symbolique. Que ce soit en simplifiant les formes jusqu’à toucher aux limites de la figuration, ou en l’interprétant, comme dans ce Mother and child de 1953 où l’enfant, doté d’un bec menaçant, s’apprête à blesser sa mère en se nourrissant.Mother and Child

Masques et têtes
Au-delà de cette tradition classique occidentale, Moore s’est aussi intéressé à l’art non européen, dès les années 1920, notamment à la sculpture africaine et mexicaine. «La qualité la plus frappante de tout art primitif est son intense vitalité», notera-t-il en 1941.

On en retrouve d’évidentes traces dans la série des masques et têtes, qu’il prolonge par des casques. Un motif qui évolue jusqu’à cet Atom Piece des années 1960, où Moore révèle sa parfaite maîtrise non seulement des formes, mais aussi de la force esthétique du bronze et de ses reflets, des contrastes entre le poli et le rugueux.

«Tout art, quand il est bon, contient des éléments abstraits et surréalistes, ainsi que des éléments classiques et romantiques.» Henry Moore

Les dessins du sculpteur
L’exposition a également le mérite de rappeler les talents de dessinateur de l’artiste. En particulier à travers ses œuvres les plus connues dans ce genre, l’effrayant Tube Shelter Perspective et ses dérivés, nés de la vision de la population londonienne réfugiée dans une station de métro, lors de bombardements en 1940.Tube Shelter Perspective Ce thème de la guerre se retrouvera régulièrement dans son œuvre, par exemple dans les figures de soldats mutilés. Sans doute un rappel de sa propre histoire, puisque le sculpteur a lui-même été blessé durant la Première Guerre mondiale.

Le versant abstrait de Moore reste également bien présent dans l’exposition, notamment par une série de bronzes magnifiques, dont les formes rappellent son intérêt pour les ossements et les coquillages. Avec aussi l’extraordinaire Trois pointes, une œuvre de 1939-1940, mélange de finesse et de puissance, où se lit la menace que fait planer la Guerre mondiale.

Au-delà des étiquettes
Quant aux célèbres figures allongées, elles constituent une sorte de synthèse entre la silhouette humaine et le paysage, entre l’abstraction et la figuration, entre la tradition classique et une modernité radicale. Avec, de plus, ces ouvertures caractéristiques, qui poussent le spectateur à regarder à travers et donc au-delà de l’œuvre. A leur tourner autour pour en découvrir chaque détail, ce que permet de manière idéale la mise en espace dans la salle d’exposition temporaire du Centre Paul Klee.biog_1929-30c_0001642

Un seul artiste et tant de richesses. On en ressort avec le sentiment non pas d’avoir épuisé le mystère de la fascination qu’exerce Henry Moore, mais d’avoir embrassé un pan de l’art du XXe siècle. Un art qui dépasse et transcende les étiquettes, comme le souhaitait le sculpteur: «Tout art, quand il est bon, contient des éléments abstraits et surréalistes, ainsi que des éléments classiques et romantiques. Ordre et surprise, intellect et imagination, conscient et inconscient.»
Berne, Centre Paul Klee, jusqu’au 25 mai. www.zpk.org

 

Posté le par Eric dans Beaux-Arts, Exposition Déposer votre commentaire

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