Du Houellebecq tout craché

Dans Soumission, Michel Houellebecq place un de ses antihéros dans la France de 2022, alors qu’un parti musulman arrive au pouvoir. Islamophobe? Le roman se révèle surtout drôle au début, décevant ensuite.
Par Eric Bulliard

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Bon, alors, qu’est-ce qu’il vaut ce nouveau Houellebecq? Question étrange… Difficile de se contenter de parler littérature, alors que Houellebecq a déclenché des réactions avant même la sortie du livre. On le traite bêtement d’islamophobe en occultant les vraies faiblesses de son roman. On rappelle qu’il est l’écrivain français le plus célèbre dans le monde, mais pourquoi au juste? Pour les polémiques ou pour une œuvre qui n’a cessé de décevoir depuis ses deux coups de maître initiaux, Extension du domaine de la lutte (1994) et Les particules élémentaires (1998)?

couv-houellebecqEt puis, il y a le contexte. A la sortie de Plateforme, Michel Houellebecq choquait le monde musulman en déclarant que «la religion la plus con, c’est quand même l’islam». L’interview paraît le 1er septembre 2001, dix jours avant les avions dans les tours… Cette année, Soumission paraît le jour même des attentats de Charlie Hebdo.

Coïncidences, évidemment, mais qui ne contribuent pas à la sérénité de la lecture. Surtout que le roman évoque en arrière-fond l’arrivée au pouvoir, en France, d’un parti musulman, en 2022. Et que «soumission», en arabe, se dit «islam».

Indifférence totale
Résumé rapide: François, quadragénaire lymphatique, est prof de littérature à l’Université Paris III. Ce spécialiste de Joris-Karl Huysmans enseigne sans plaisir, à peine motivé par l’arrivée des nouvelles étudiantes en minijupe. Il n’a plaisir à rien, se lasse des sites pornographiques comme des débats intellectuels et voit pointer le début d’une vieillesse aussi tranquille qu’ennuyeuse. Il songe à «prendre des cours d’œnologie ou collectionner les modèles réduits d’avions».Houellebecq2

François est un homme indifférent. A son avenir, comme aux événements qui secouent la France. Au soir du deuxième tour de l’élection présidentielle, où s’affrontent Marine Le Pen et Mohammed Ben Abbes, du parti de la Fraternité musulmane, il fuit dans une France dévastée par des émeutes, enjambe sans broncher les corps allongés à la station-service. Il finira par s’accommoder du nouveau pouvoir en place, regrettant juste que robes, jupes et shorts disparaissent, en particulier de la Sorbonne, rachetée par les Saoudiens: «La contemplation du cul des femmes, minime consolation rêveuse, était elle aussi impossible.»

J’avais même parlé une fois à une fille jeune, jolie, attirante, qui fantasmait sur Jean-François Copé; il m’avait fallu plusieurs jours pour m’en remettre

Fable et réalisme cru
Du Houellebecq craché. La froideur, le cynisme, un style d’une platitude clinique. Dans la fameuse interview de 2001, il expliquait: «Mes personnages sont un peu des expériences que je fais avec mon cerveau.» Ici, il place dans une situation imaginaire un de ses antihéros si caractéristiques, qui garde un détachement absolu: «Aussi politisé qu’une serviette de toilette», il ne prend pas parti et accepte les bouleversements de son pays comme il accepte son eczéma entre les orteils. Tant que l’alcool n’est pas interdit et qu’il peut faire appel à des escort-girls…

Il faut encore rappeler que Houellebecq est aussi (d’abord?) un auteur comique. Il distille à nouveau un humour désespéré, par exemple à travers des piques contre des hommes politiques: «J’avais même parlé une fois à une fille jeune, jolie, attirante, qui fantasmait sur Jean-François Copé; il m’avait fallu plusieurs jours pour m’en remettre. On rencontre vraiment n’importe quoi, de nos jours, chez les filles.»

Si les livres de Houellebecq créent le malaise, c’est aussi par leur mélange entre fable et réalisme cru. Il utilise les noms de personnes réelles et place sur le même plan, d’un côté, politique-fiction et références culturelles (sur la littérature du XIXe siècle comme sur Nietzsche et son «flair de vieille pétasse» ), de l’autre, réflexions sur les bienfaits du micro-ondes ou sur le consensus autour des sushis, cette «juxtaposition amorphe de poisson cru et de riz blanc».

Dégoût de l’humanité
Bon, et alors, ce nouveau Houellebecq est-il islamophobe? Et misogyne? Que des musulmans soient blessés de voir leur religion quasiment résumée à la polygamie n’a rien d’étonnant. Ni que des femmes soient vexées de se retrouver décrites comme interchangeables, pourvu qu’elles maîtrisent la fellation. Mais, comme la plupart des héros de Houellebecq, François est surtout un indécrottable misanthrope: «L’humanité ne m’intéressait pas, elle me dégoûtait même, je ne considérais nullement les humains comme mes frères…» Et le roman se révèle aussi misandre que misogyne: il n’est pas plus tendre avec les hommes, présentés comme des abrutis ne pensant qu’avec leur sexe…

Le plus étonnant, avec ce nouveau Houellebecq comme avec La carte et le territoire qui lui a valu le Goncourt en 2010, reste ses faiblesses, absentes de ses premiers livres. L’ensemble manque de souffle et de rythme: après une première partie fort drôle, le récit se perd dans de longues digressions politico-religieuses. Ou dans des phrases mala-droites, indignes de «l’auteur français le plus connu dans le monde»: «Il sortit de son blouson un minuscule portable en coquille, presque féminin, qui semblait minuscule dans sa paume…»

Quant au parallèle entre François et Huysmans, il paraît intéressant, mais Houellebecq le gâche par des descriptions de style Wikipédia quand il évoque certains auteurs: «Considéré avec Heredia comme le chef de file des parnassiens, Leconte de  Lisle…»

Au fond, rien n’a changé: Houellebecq suscite la polémique, mais sa lecture déçoit. Il pose un regard acéré sur une société malade, mais son biais (l’arrivée d’un parti musulman au pouvoir en France) n’est pas le bon. Le voici de plus en plus phénomène de société, de moins en moins grand écrivain.
Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion, 304 pages

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