Le gothique dépoussiéré

Récit funèbre et macabre laissé pour mort, le roman gothique retrouve une nouvelle et belle légitimité grâce à Alain Morvan et à La Pléiade.

Frankenstein
Par Romain Meyer
Gothique, voilà bien un de ces mots que l’on met à toutes les sauces. Dès que la nuit tombe sur une vieille bâtisse, si possible médiévale, dès que l’atmosphère s’alourdit de mystères anciens ou d’un vampire centenaire, le film, le roman, voire la musique, devient «gothique», avec plus ou moins de bonnes raisons. Harry Potter en est-il? Et les films de Tim Burton?

Pour y répondre, rien de tel que de retourner aux œuvres originales. C’est ce que propose, pour la première fois, la prestigieuse collection de La Pléiade, chez Gallimard. La consécration pour un genre parfois daté, minimisé, voire dénigré, et même une «panthéonisation» pour ces vieilles pages qui avaient du mal à sortir de leur crypte. Alain Morvan a dépoussiéré les textes pour les remettre à blanchir au soleil. Il en a fait la meilleure des initiations pour un genre qui refuse de mourir. Bien au contraire!Frankenstein2

Cinq récits
Au programme de ce tome de 1440 pages, cinq textes parmi les plus fameux: Le château d’Otrante d’Horace Walpole, qui marque le début du genre en 1764, Vathek de William Beckford directement écrit en français, Le moine de Matthew Gregory Lewis, dont Antonin Artaud a donné une traduction toute personnelle, L’Italien ou le confessionnal des pénitents noirs d’Ann Radcliffe et, en clef de voûte, le Frankenstein de Mary Shelley.

Cinq auteurs, trois hommes, deux femmes, tous anglais de l’upper class, riches à l’excès ou presque, instruits et frappés d’une sensibilité exacerbée. Tous recherchent cette élévation décrite par le philosophe anglais Edmund Burke en 1757 et qui définit l’esthétique du fantastique en apparentant le sublime au malaise et au danger.

Fini dès lors pour ces nantis le grand tour traditionnel des œuvres classiques italiennes ou françaises. Ils répondent désormais à l’appel de la nature, sauvage, abyssale, alpine. Ils sont attirés par ces panoramas «resplendissants et désolés», comme l’écrit Horace Walpole. Le genre puisera dans cette source de frayeur et de beauté une partie importante de son identité, qui est bien d’abord rurale. Comme il le fera dans le rêve et le Moyen Age.

D’autres éléments sont constitutifs du récit gothique. Il faut d’abord un méchant, bien scélérat. Manfred du Château d’Otrante, Ambrosio du Moine, ou encore le calife Vathek. Tous possèdent une part de mystère qui en font des personnages amples, non manichéens et souvent ambigus: qui est vraiment mauvais du docteur Frankenstein ou de sa créature?

Pour que la valse de souffrance et de cruauté propre au genre puisse prendre place, il est nécessaire d’avoir une victime, souvent féminine, toujours impuissante. Le décor, dont la composante architecturale est typique, et l’ambiance souvent carcérale achèvent de générer la frayeur.

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S’il est d’origine anglaise, le roman gothique se comprend en référence à l’Allemagne, à ses forêts sombres et profondes, à son histoire. Le terme même possède plusieurs sens, qui se concentrent dans les notions d’agression ou de mise en péril. Que ce soit les Wisigoths et les Ostrogoths par rapport à l’Empire romain, l’ogive gothique face au plein cintre roman ou même les lettres gothiques, qui renvoient à la Bible de Luther, et donc à la fin de l’unité de l’Eglise.

Il faut également rapprocher cette naissance du fantastique contemporain de la Révolution française, et surtout de l’événement qui va dégoûter la noblesse anglaise, la Terreur. On trouve dans ces récits le rappel des faits sanglants parisiens, marquant avec angoisse le passage des Lumières au romantisme et laissant leurs traces chez Poe, Conan Doyle et surtout Balzac.

Alain Morvan met avec érudition et précision ces romans au cœur de leur époque tout en leur rendant leur côté atemporel. Ses traductions, toutes nouvelles, réussissent à dépasser la contradiction de moderniser le récit tout en respectant scrupuleusement le vocabulaire d’alors. Les textes sont limpides, angoissants, puissants. Un travail d’orfèvre pour un genre toujours d’actualité.

Le monstre est vivant
La preuve? Steve Niles, l’ex-grand espoir de la BD d’horreur américaine (30 jours de nuit) et le dessinateur Bernie Wrightson ont imaginé une suite au récit de Mary Shelley, mettant fin à la grande course-poursuite entre le créateur et sa créature. Celle-ci sera-t-elle toujours condamnée à faire le Mal ou pourra-t-elle échapper à ce destin funeste? Ce premier tome met en place une intrigue courue, voire prétexte. Elle est heureusement sublimée par le trait somptueux du créateur de Swamp Thing. Un régal au moins visuel.

Frankenstein et autres romans gothiques, présentation et traduction par Alain Morvan, Gallimard, coll. La Pléiade, 1440 pages; Steve Niles et Bernie Wrightson, Frankenstein, le monstre est vivant, tome I, Soleil

Posté le par Eric dans BD, Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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