Jimmy Page: de la musique avant toute chose

Ancien rédacteur en chef de Guitar World, Brad Tolinski a interviewé Jimmy Page plus que tout autre journaliste. Il en a tiré un livre, qui retrace de l’intérieur l’aventure Led Zeppelin.

© Ross Halfin
Par Eric Bulliard
En quatrième de couverture, ce slogan: «Oubliez la légende, entrez dans l’histoire.» Conversations avec Jimmy Page ne s’adresse guère aux amateurs de scandales. Bien sûr, à 70 ans, le guitariste de Led Zeppelin fait figure de mythe vivant. Bien sûr, l’histoire de son groupe s’est aussi écrite à travers les excès, les rumeurs et les drames, mais ces entretiens le démontrent: l’essentiel reste la musique, rien que la musique.

Jimmy Page a trouvé à qui parler: le livre est signé Brad Tolinski, rédacteur en chef durant vingt ans du magazine Guitar World. Sans doute le journaliste qui a le plus souvent interviewé le leader de Led Zep, depuis leur première rencontre, en 1993.

Même pour les non-spécialistes, il est fascinant d’assister à leurs échanges sur les «accords en mi et la qui suivaient l’octave du riff en fa dièse» ou de découvrir les comparaisons entre la Fender Telecaster 1953 et la Gibson Les Paul Standard 1959. Mais il est encore plus passionnant de suivre la création, qu’il s’agisse du solo de Stairway to heaven, de l’énigmatique pochette de Led Zeppelin IV ou de l’utilisation de l’archet sur la guitare électrique de Dazed and confused.

Il y avait une différence entre nos contemporains et nous: Led Zeppelin faisait en permanence évoluer la musique

Du côté de la légende: «Sex, drugs and rock’n’roll» et une attirance pour les sciences occultes et la métaphysique: «C’était ma vie – cette fusion de musique et de magie.» Du côté de l’histoire: du travail, une recherche sans fin: «On devait explorer, fouiller, approfondir», explique Jimmy Page. Et ailleurs: «Il y avait une différence entre nos contemporains et nous: Led Zeppelin faisait en permanence évoluer la musique.»

Interviewé comme d’autres intervenants (dont les guitaristes Jeff Beck et Jack White), Danny Goldberg, publicitaire du groupe, confirme: «Ils étaient lucides et intelligemment équilibrés. Ils étaient toujours extrêmement sérieux quand on en venait à la musique. Oui, il y avait des moments de fête, de tragédie, de drame, de flamboyance, mais il y avait aussi des prises de tête considérables sur chaque détail.» Double recette pour devenir le plus grand groupe de rock de son temps: le travail et le talent.

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La «dream team»
Les talents, plutôt, tant Led Zeppelin ressemble à une «dream team». Après des années intensives de musicien de studio (on entend sa guitare sur«60% des enregistrements sortis au Royaume-Uni au début des années 1960»), Jimmy Page a connu ses premiers succès avec les Yardbirds, en 1966-1968. Aux Etats-Unis, ce jeune Anglais découvre «toute cette autre scène underground qui se foutait de faire des tubes».

Eté 1968: Page appelle John Paul Jones, «l’un des plus grands bassistes, claviéristes et arrangeurs de sessions d’Angleterre». Puis le chanteur Robert Plant, dont la «voix androgyne et volcanique convient à absolument tout type de registre». Mais «sa plus grande découverte reste peut-être le batteur John Bonham», qui avait joué avec Plant. Le guitariste cherchait un batteur puissant. Avec «Bonzo» il le trouve: «Au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. Il était sur­humain.»

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Le son, son seul souci
L’alchimie se met en place. Le premier album est enregistré en novembre 1978, en trente heures… A l’ingénieur du son qui aimerait interférer dans la production, Jimmy Page répond: «Y’a pas moyen. C’est moi qui ai formé ce groupe, je les ai amenés ici, j’ai dirigé tout l’enregistrement, j’ai mon propre son de guitare – alors je peux te l’assurer, tu n’as pas la moindre chance.»

Le son, principal souci de Page. Le livre revient fréquemment sur ce travail de précision qui vire à l’obsession. Il n’est pas seulement un guitariste de folie, un showman à la classe imperturbable, un musicien qui a su «créer des mélodies et des harmonies inattendues dans un cadre rock’n’roll». Il est aussi parvenu à «capturer chaque facette de ce joyau rare qu’est Led Zeppelin» et fait figure de producteur novateur.

La suite passe par de nouveaux albums, des concerts de quatre heures, des morceaux qui dépassent les vingt minutes. «Lorsqu’on joue avec un groupe aussi bon que l’on était, on ne veut pas s’arrêter après une minute seulement de solo», sourit Jimmy Page.Ledzep

Fauchés en pleine gloire
Led Zeppelin soigne sa mise en scène comme aucun autre groupe de l’époque. Parce que tout passe par là: boudé par les radios et (souvent) par la critique, le groupe fait de ses concerts sa «véritable arme.» C’est aussi l’époque de tous les excès, chambres d’hôtel saccagées, drogues, filles, jet privé. Jusqu’où sont-ils allés? «Aussi loin que notre imagination pouvait nous mener», indique Jimmy Page. «C’était vraiment une époque de pur hédonisme.»

La suite est connue: Led Zeppelin est fauché en pleine gloire, dans la nuit du 24 au 25 septembre 1980. Ivre, le batteur John Bonham meurt étouffé dans son vomi. Le 4 décembre, le groupe annonce sa fin, après huit albums (un neuvième de fond de tiroir suivra en 1982) et une influence décisive sur l’histoire du rock. Jimmy Page vit alors de sombres années, compose des musiques de films, puis remonte sur scène aux côtés d’Eric Clapton et de Jeff Beck, monte l’éphémère groupe The Firm, sort un album solo, Outrider

Le retour de 2007
L’aura de Led Zeppelin n’a cessé de croître, jusqu’à ce mois de septembre 2007 où Jimmy Page stupéfie tous les amateurs de rock par cette annonce: Led Zeppelin se reforme, pour un concert unique, à Londres. Jason Bonham remplace son père à la batterie. Il y aura deux millions de demandes de billets… Quelque 20000 spectateurs sont tirés au sort, pour ce concert monstrueux, devenu à son tour, déjà, légendaire.

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Depuis, Robert Plant refuse toute nouvelle formation. Jimmy Page, lui, est le gardien du temple, assurant par exemple la récente remastérisation des albums de Led Zep. Il anime aussi son site jimmypage.com, devenu une extraordinaire mine d’informations sur sa carrière. Sur l’histoire comme sur la légende.
Brad Tolinski, Conversations avec Jimmy Page (préface de Philippe Manœuvre), Editions Ring, 416 pages

 

 

Posté le par Eric dans Anglo-saxon, Livres, Musique Déposer votre commentaire

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