Rimbaud et Hugo: les dictionnaires de deux géants

Arthur Rimbaud et Victor Hugo ont droit à leur dictionnaire. Différents de forme et d’approche, tous deux permettent de redécouvrir ces œuvres et ces poètes hors norme.

rimbaud
Par Eric Bulliard
Deux géants des lettres. D’un côté, l’adolescent évanescent, le gamin semant au vent des poèmes qui bouleversent la littérature française. De l’autre, l’ogre immense, étourdissant, l’œuvre colossale. Chacun mérite le dictionnaire qui vient de lui être consacré. Le premier cherche à mettre tout l’univers de Rimbaud en un volume. Le second à montrer que tout l’univers se trouve chez Hugo.

Après Camus et Zola, l’excellente collection Bouquins de Robert Laffont publie donc un Dictionnaire Rimbaud du plus bel effet. Sous la direction experte de Jean-Baptiste Baronian (auteur notamment de biographies de Rimbaud, Verlaine et Baudelaire), il présente le «poète préféré des Français» sous les angles les plus divers. Même si tout a été dit et écrit sur l’auteur des Illuminations, l’ouvrage a l’ambition «d’explorer le mythe rimbaldien sous tous ses aspects, de faire le tri entre vérités et légendes au sujet d’un homme dont le génie, la traversée fulgurante demeurent à bien des égards énigmatiques».

Ce programme de la quatrième de couverture, le Dictionnaire Rimbaud le tient admirablement. Poèmes et recueils font l’objet d’entrées sous forme de rappels bienvenus, tout comme certains thèmes incontournables: les Lettres du voyant, la Commune de Paris, l’affaire du faux poème La chasse spirituelle ou la relation avec Verlaine, par exemple. Mais, au fil de la consultation (puisqu’un dictionnaire se picore plutôt qu’il se lit), l’ouvrage réserve aussi nombre de surprises et de curiosités.

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De Jaccottet à Dylan
On y croise des auteurs qui ont écrit ou évoqué Rimbaud, qu’ils soient morts (Mallarmé, Eluard, Gracq, Céline, Camus, Char…) ou vivants (Jaccottet, Bonnefoy, Sollers, Stétié…). De grands noms de la critique rimbaldienne sont également présents (Etiemble, Eigeldinger…), ainsi que des auteurs bien oubliés, que Rimbaud évoque çà et là (Albert Glatigny, Georges Lafenestre, Ludovic Lalanne…).

Le mythe rimbaldien passant aussi par sa biographie, le dictionnaire ne pouvait manquer d’évoquer les lieux (de Charleville-Mézières à Marseille, en passant par Douai, Bruxelles, Londres, Harar…) et les personnes (son professeur Izambard, ses amis Ernest Delahaye et Paul Demeny, sa sœur Isabelle, sa mère Vitalie…) qui ont marqué son extraordinaire trajectoire.

L’ouvrage, et c’est là une de ses principales qualités, explore aussi des voies moins attendues. Comme une manière de démontrer que Rimbaud a essaimé l’ensemble de la culture mondiale. Le poète se retrouve ainsi dans des entrées cinéma, bande dessinée, fiction, chanson française, opéra ou encore rock (avec des références à Jim Morrison, Bob Dylan, Patti Smith…).

Hugo en citations
Tout autre approche pour le Dictionnaire Hugo. Jean-Pierre Langellier s’est plongé dans cette œuvre pléthorique pour en ramener des pépites. Il a lu, relu, fouillé des dizaines de livres, mais aussi les lettres et fragments du plus célèbre auteur français. Au final, le journaliste et écrivain a puisé des centaines de citations qui rappellent à la fois la lucidité, la pertinence et le sens de la formule de Victor Hugo.

« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches”

Certaines sont connues, telles les incontournables «mon père, ce héros au sourire si doux», «je suis une force qui va!» ou encore «La Suisse trait sa vache et vit paisiblement!» ou le célébrissime «Je veux être Chateaubriand ou rien» que Hugo aurait écrit à 14 ans sur son cahier d’écolier.

Hugo

Comme toujours avec Hugo, on reste aussi épaté par sa force visionnaire, qu’il s’agisse de la monnaie européenne qui «remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d’aujourd’hui» ou de la misère («C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches»).

Poète toujours
A travers ces citations se devine aussi le parcours de l’auteur des Misérables, que ce soit son engagement politique, l’exil, le deuil de sa fille Léopoldine, ses relations avec Juliette Drouet, Adèle Hugo ou des écrivains, comme George Sand, «la grande femme de ce siècle, une âme noble entre toutes, une sorte de postérité vivante».

Qu’il parle de politique, de justice («ce mystérieux scrupule puisé dans l’idéal») ou de la presse («désormais, le monde a vingt-cinq puissantes reines, qui sont les lettres de l’alphabet.»), Victor Hugo reste avant tout poète. Avec des fulgurances qui justifient un dictionnaire de citations à lui tout seul.

«Bonheur d’être triste»
9782262040925Partout, son sens de la formule fait mouche, comme dans ce fameux extrait des Travailleurs de la mer: «La mélancolie est un crépuscule. La souffrance s’y fond dans une sombre joie. La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste.» Ou dans ces phrases d’Océan: «Le plaisir, cette cime où l’on monte joyeux et d’où l’on descend triste» et «l’encre, cette noirceur d’où sort une lumière.»

Loin de fouiller aussi profondément que le Dictionnaire Rimbaud, ce Dictionnaire Hugo offre un aperçu de cet écrivain hors du commun, qui avait pour programme: «Ce qui est grand, à mon avis, c’est de vivre simplement comme les autres hommes, sans effarement et sans orgueil, en voyant ce qu’ils voient, en touchant ce qu’ils touchent, et en pensant un peu plus qu’eux.»

Dictionnaire Rimbaud, sous la direction de Jean-Baptiste Baronian, Robert Laffont / Bouquins, 744 pages et Jean-Pierre Langellier, Dictionnaire Victor Hugo, Perrin, 496 pages

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