Mumprecht, le peintre qui dessine le langage

Le Musée Gutenberg, à Fribourg, met Rudolf Mumprecht à l’honneur. L’artiste bernois, 96 ans, joue avec les mots et les signes graphiques. Des œuvres inédites lèvent le voile sur le bouillonnement créateur.

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Par Eric Bulliard
Il y a des taches de couleur, des notes de musique, des mots en français, allemand, italien. Il y a, surtout, la personnalité d’un artiste libre, d’un poète espiègle qui se joue des modes et des conventions. Le Bernois Rudolf Mumprecht, 96 ans, est à l’honneur à Fribourg: dans une exposition intitulée Paroles – Ritmo – Klang, le Musée Gutenberg présente des œuvres réalisées entre 1989 et 2014, dont une série inédite de Lettres sans adresse.

Né à Bâle en 1918, Rudolf Mumprecht a grandi à Berne et vit actuellement entre Köniz et le Tessin. Autodidacte, se considérant lui-même comme dessinateur plutôt que peintre, il débute par la figuration, avant de se diriger vers l’abstraction, puis l’écriture: depuis les années 1960, il intègre en effet le mot dans ses œuvres. «Il est le premier artiste suisse à agir de la sorte», précise Stefan Ledergerber, directeur du Musée Gutenberg.

Fasciné par la forme des lettres, leurs lignes et leur puissance graphique, Mumprecht ne néglige pas pour autant le sens ni la sonorité des mots. «Nos yeux ne sont que lumière», lit-on par exemple sur un tableau sombre. Ses grandes toiles, partie la plus connue de son œuvre, sont parfois constituées essentiellement d’un mot blanc sur fond noir: «vie», «individuo», «amour».
Le tableau le plus récent, achevé il y a à peine deux semaines, comprend, en lettres géantes, «Pan y Paz». En s’approchant, on découvre que les couches de peinture sont appliquées sur des journaux découpés, ouvrant sur d’autres échos significatifs.

Au cœur du laboratoire
Au spectateur de chercher sa propre interprétation: Mumprecht propose un univers ouvert aux réflexions, mais ne donne que peu de clés. Ce qui n’empêche pas de se laisser emporter dans ce tourbillon où les mots sonnent et frappent l’imagination, où les langues se mêlent, où les signes graphiques s’agitent: «Di quando in quando / allegro non troppo / espace bleu soleil.» «Lo specchio / je me vois dedans / Seitenverkerht / et toi?»

mumprechtaLe volet le plus intéressant de l’exposition se situe sans doute dans les Lettres sans adresse. Rudolf Mumprecht en a écrit environ 1200, le plus souvent sur des feuilles A4, mais aussi sur des papiers divers. Il y trace quelques idées, des bribes de poèmes, des dessins… Cette sorte de laboratoire de la création artistique n’a jamais été montré au public: le Musée Gutenberg en expose environ 120, sorties du fonds déposé à la Bibliothèque de la bourgeoisie de Berne.

Mouvement et vie
Là encore, l’artiste joue avec les mots, les sonorités («Welt, Wind, Welle, Wort»), les images poétiques («L’autre regard écou-te le silence») ou les aphorismes («Si l’on perçait le mystère, on le chanterait plus»). On y voit des couleurs, des taches, des traits vifs et des mots comme captés dans les airs: «réalité», «eau», «œil», «rêve», «langage»… Avec cette impression surprenante de plonger au cœur d’un magma où bouillonne l’énergie créatrice.

Plus anecdotiques et néanmoins sympathiques, de modestes sculptures sont également présentées pour la première fois. Ready-made, personnages de terre ou créations éphémères photographiées sur la plage donnent aussi ce sentiment de découvrir l’envers de la création artistique. Qui, chez Mumprecht, est mouvement et vie.
Fribourg, Musée Gutenberg, jusqu’au 21 septembre, mercredi, vendredi et samedi, 11 h-18 h, jeudi, 11 h -20 h, dimanche 10 h-17 h. www.gutenbergmuseum.ch

Posté le par Eric dans Beaux-Arts, Exposition Déposer votre commentaire

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