Maylis de Kerangal, une vie qui se poursuit, d’un corps à l’autre

C’est le roman bouleversant d’une aventure contemporaine, réduite à vingt-quatre heures: avec Réparer les vivants, Maylis de Kerangal raconte une transplantation cardiaque.

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© C. Hélie – Gallimard

Par Eric Bulliard

Dans Naissance d’un pont (prix Médicis 2010) elle racontait de manière magistrale un chantier du siècle dernier. Avec Réparer les vivants, la Française Maylis de Kerangal choisit un autre thème a priori peu romanesque: l’histoire d’une transplantation cardiaque, magnifiée par sa sensibilité et la force de son écriture. Comme dans son précédent roman, Maylis de Kerangal part du noyau de son récit pour tisser son texte en rayonnant: elle suit et donne chair à ses personnages, qu’ils soient médecin de garde, infirmière débutante, responsable de la coordination des prélèvements (et passionné de chant), éminent chirurgien cardiaque…

Au centre, il y a Simon Limbres, vingt ans. Il a la vie devant lui, vient de découvrir l’amour avec Juliette, se passionne pour le surf. Ce matin-là, il est parti rider avec deux amis, expérimenter ce «vertige horizontal». Au retour, leur camionnette s’écrase contre un poteau. Mort cérébrale. Le cœur de Simon bat encore: il reste quelques heures pour prélever les orga-nes du jeune homme et ainsi sauver d’autres vies.

« Que deviendra l’amour de Juliette, une fois que le cœur de Simon recommencera de battre dans un corps inconnu? »

Sens du rythme
Commence alors un extraordinaire récit de tensions, de douleur et d’espoir. Tout au long de Réparer les vivants, Maylis de Kerangal parvient à un équilibre épatant entre la précision technique, clinique, et l’émotion. Celle, décrite avec un tact extraordinaire, des parents confrontés à l’horreur absolue, celle aussi qui réparerentoure cette opération si particulière, où l’on prend un cœur pour le placer dans un autre corps. Emotion, aussi, de la receveuse: «Ce qui la tourmente, c’est l’idée de ce nouveau cœur et que quelqu’un soit mort aujourd’hui pour que tout cela ait lieu, et qu’il puisse l’envahir et la transformer, la convertir – histoires de greffes, de boutures, faune et flore.»

L’art de Maylis de Kerangal tient aussi dans son sens du rythme. Dans cette manière d’allonger les phrases sans les alourdir ou, au contraire, de les raccourcir sans les assécher. Ramassé en exactement vingt-quatre heures (entre la sonnerie du réveil de Simon et la fin de l’opération), son récit mêle à la perfection le quotidien le plus trivial (accident de voiture, bouchons sur la route, dispute conjugale…), les envolées lyriques et les méditations métaphysiques.

Elan et espoir
Le cœur lui-même concentre ces différents aspects. Il est «le bon vieux cœur. Le cœur moteur. La pompe qui couine, qui se bouche, qui déconne.» Mais aussi le siège des émotions: «Que deviendra l’amour de Juliette, une fois que le cœur de Simon recommencera de battre dans un corps inckerangalbisonnu, que deviendra tout ce qui emplissait ce cœur, ses affects lentement déposés en strates depuis le premier jour ou inoculés çà et là dans un élan d’enthousiasme ou un accès de colère, ses amitiés et ses aversions, ses rancunes, sa véhémence, ses inclinations graves et tendres?»

Le soir de l’opération, un match de foot se déroule au Stade de France. Une doctoresse croise la foule de supporters en se rendant à son Agence de la biomédecine. Un médecin italien défend son équipe une fois l’opération terminée. Derrière la futilité, c’est la vie qui continue, qui palpite dans ces pages emplies d’élan et d’espoir, malgré tout. A l’image de ce fragment de dialogue tiré de Platonov de Tchekhov: «Que faire, Nicolas? Enterrer les morts et réparer les vivants.»

Maylis de Kerangal
Réparer
les vivants
Verticales, 288 pages

Notre avis: ♥♥♥♥

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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