A l’Espace Tinguely, le corps, immortelle inspiration des arts

Une nouvelle exposition sur le thème du corps tire des parallèles entre les époques et les artistes. En particulier des proches de Tinguely et Niki de Saint Phalle.

Niki

Niki de Saint Phalle, La femme/Portrait of Mimi or Clarissa

Par Eric Bulliard

On le représente meurtri, fragmenté ou idéalisé. Le thème du corps traverse l’histoire de l’art et donc les collections du Musée d’art et d’histoire de Fribourg (MAHF). L’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle a puisé dans ses réserves pour présenter Corps en jeu, jusqu’au 24 août. Dialogue entre les époques, l’exposition se concentre essentiellement sur quelques artistes proches du couple qui a donné son nom à ce lieu.

Alors qu’il apparaît notamment sous forme d’ossements chez Tinguely, le corps occupe une place centrale dans l’œuvre de Niki de Saint Phalle, rappelle Caroline Schuster Cordone, directrice adjointe du MAHF. Un corps souvent souffrant, marqué par le viol incestueux, puis par la maladie. La figure complexe de La femme/Portrait of Mimi or Clarissa (lithographie de 1995) concentre cette douleur, avec ses jambes coupées et son riche vocabulaire guerrier. L’accrochage la met en écho avec l’image chrétienne traditionnelle de la Mater dolorosa.

sSébastien

Saint Sébastien, anonyme, XVIe s.

Un gisant très cool
Du côté du corps masculin souffrant, la figure de saint Sébastien percé de flèches a traversé les âges. L’exposition en présente un exemple anonyme du XVIe siècle, où la douleur laisse place à la sérénité et à la beauté du corps. De même dans ce magnifique Christ à la colonne, sculpture raffinée du XVIe siècle, où la musculature semble au cœur de l’attention de l’artiste.

RicoWeber

Rico Weber, Ich liege wo ich liegen möchte

En parallèle est exposé un moulage de Rico Weber (1979), Ich liege wo ich liegen möchte («Je me couche où je veux me coucher»), réalisé sur son propre corps. Il renvoie à la tradition des gisants médiévaux, le sourire et la cool attitude en plus…

Ce double en plâtre du corps de l’artiste, à la fois présent et absent, entre en troublant dialogue avec la salopette de Tinguely – identique à celle de son ami Rico Weber – qui, exposée en vitrine, est devenue une sorte de relique contemporaine. De cette expérience du moulage, Rico Weber a notamment tiré des sculptures sur le thème de l’enfermement, comme cet étonnant Ego box (1981), statue rouge recroquevillée dans une caisse.

Cesar

César, Le pouce

Le pouce de César
A la galerie supérieure sont réunies des œuvres autour du corps fragmenté. Avec, pour la tradition, des ex- voto, des reliques et de curieux travaux d’artisans du XIXe siècle, réalisés à partir de cheveux de défunts. Clou de cette section: le célèbre Pouce de César, agrandi après moulage sur sa propre main. Cet exemplaire, réalisé en sucre, date de 1971 et appartenait à Tinguely.

Le corps est en outre présenté à travers l’érotisation – dans les dessins raffinés d’Alfred Hofkunst – ou par cette main dans une gravure de Bernhard Luginbühl, qui intègre l’artiste à son œuvre. Sans oublier, dans la lignée du surréalisme, l’utilisation de parties du corps (pieds et tête essentiellement) pour créer un nouveau sens, comme le fait Daniel Spoerri.

L’art pour tous
Colonne vertébrale de l’exposition, Niki de Saint Phalle la clôt avec des lithographies et sculptures évoquant les facettes gaies du corps: le sport, le rire, la danse, les Nanas qui éclatent de santé.

Reste alors à rejoindre le rez pour retrouver une œuvre biface de Keith Haring (en provenance de la collection privée de Tinguely) qui concentre les thèmes de l’exposition, en y ajoutant une dimension animale (serpents et chiens): le corps apparaît ici joyeux ou douloureux, mais surtout plein de vie et d’énergie. Le tout avec la légèreté souriante d’une démarche artistique qu’il partageait avec Tinguely et Niki de Saint Phalle et qu’illustre l’ensemble de l’exposition: l’envie de rendre l’art accessible à tous.

Fribourg, Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle, jusqu’au 24 août. Du mercredi au dimanche, 11 h-18 h, jeudi 11 h-20 h. www.mahf.ch

Posté le par Eric dans Beaux-Arts, Exposition Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire