Jack Henry Abbott, sous les verrous, l’enfer

Les Editions Ring rééditent des lettres que Jack Henry Abbott (1944-2002) a écrites de sa prison à Norman Mailer. Avant sa libération et un nouveau meurtre.

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Norman Mailer, en pleine tourmente médiatique après la récidive de Jack Abbott

Par Eric Bulliard
«Lire les lettres d’Abbott n’est guère un prélude à de doux rêves. C’est l’enfer qui s’ouvre devant vos yeux. C’est le quartier de haute sécurité d’un grand pénitencier.» Dans sa préface, l’écrivain Norman Mailer ne cache ni son admiration ni la violence de ce qui suit: «Ecoutez! Ecoutez! C’est la voix du diable.» C’était en 1981, le livre s’intitulait Dans le ventre de la bête. Les Editions Ring rééditent ces lettres signées Jack Henry Abbott, qui, aujourd’hui, se lisent avec d’autant plus d’effroi que l’on sait comment l’histoire se termine.

Fils d’une prostituée, Jack Henry Abbott naît en janvier 1944. Enfant abandonné, il passe de maisons de redressement en prisons. Alors qu’il purge une peine de cinq ans pour vols, il poignarde un codétenu, s’éva­de, est arrêté, est condamné à dix-neuf ans de réclusion.

En 1977, Norman Mailer effectue des recherches pour son roman Le chant du bourreau, quand il reçoit une lettre de Jack Henry Abbott lui proposant son témoignage. Il est fasciné par la force qui se dégage de ces phrases. En trois ans, il reçoit deux lettres par semaine, soit quelque 2000 pages.

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Jack Henry Abbott

Une main tendue
Abbott y raconte ses conditions de détention, les coups, la faim. «J’ai 37 ans maintenant. Depuis l’âge de 12 ans, j’ai été libre en tout neuf mois et demi», souligne-t-il. Il parle de racisme, de ses lectures, des drogues, du mitard qu’il connaît comme personne: «Si j’étais un animal logé au zoo dans une cage de ces dimensions, la S.P.A. ferait arrêter le directeur du zoo pour cruauté.» Malgré tout, il reste «le genre d’imbécile qui, face à César, n’a qu’à revenir sur sa parole pour s’en tirer indemne, mais qui ne peut s’empêcher de dire à César: “Va te faire foutre.”»

Jack Abbott lit tout ce qui lui tombe sous la main, les philosophes antiques, les romanciers classiques, les théoriciens du communisme. Il se crée une culture en autodidacte: «Les neuf dixièmes des mots de mon vocabulaire, je ne les ai jamais entendus prononcer», écrit-il. Persuadé d’avoir découvert un nouveau géant des lettres, Norman Mailer lui vient en aide. Avec d’autres intellectuels (dont les acteurs Christopher Walken et Susan Sarandon), il se bat pour lui donner une chance. Parce que personne ne lui a jamais tendu la main. Malgré l’avis défavorable du comité qui l’examine, Abbott obtient une libération conditionnelle en 1981.

Si j’étais un animal logé au zoo dans une cage de ces dimensions, la S.P.A ferait arrêter le directeur pour cruauté.“ Jack Henry Abbott

Personne ne sort meilleur
A New York, il est accueilli à l’aéroport par Mailer. Son livre vient de paraître, devient un best-seller. Abbott est invité sur les plateaux de télévision. Il garde sa rage et ignore les codes de sa nouvelle vie. Parfois, il mange chez Mailer, qui avouera plus tard l’avoir trouvé inintéressant et peu équilibré.

Six semaines après sa libération, le 18 juillet 1981, à cinq heures du matin, Abbott se dispute avec un barman de Greenwich Village, qui lui refuse l’accès aux toilettes du personnel. Il sort un couteau, tue ce Richard Adan, 22 ans, et prend la fuite. Après quelques semaines de cavale, il est à nouveau arrêté. «Personne n’est jamais sorti meilleur de prison», écrivait-il, comme un avertissement.Jackabbottbis

«Je le regrette»
A son procès, en janvier 1982, Mailer et ses amis continuent de le soutenir: «Ne détruisons pas Abbott, c’est un de nos plus grands auteurs!» Condamné à au moins quinze ans de prison, il finit par se pendre dans sa cellule, en 2002, alors qu’on lui a refusé une nouvelle liberté conditionnelle.

Dans la postface de cette nouvelle édition (qui aurait mérité une relecture attentive, tant les coquilles restent nombreu-ses), Stéphane Bourgoin cite une interview de Norman Mailer. En 2007, peu avant sa mort, l’écrivain octogénaire avoue: «Je savais que quand il sortirait, il causerait des ennuis. (…) J’ai eu du mal à vivre avec ça. Je le regrette donc, je le regrette prodigieusement.»

Jack Henry Abbott, Dans le ventre de la bête, Ring, 304 pages

notre avis: ♥

La prison en philo, en littérature, au cinéma

foucaultL’essai: Michel Foucault, Surveiller et punir (1975)
Quand il publie Surveiller et punir, en 1975, Michel Foucault est professeur au Collège de France depuis cinq ans, connu autant pour son militantisme dans la mouvance soixante-huitarde que pour des essais comme Histoire de la folie à l’âge classique (sa thèse de doctorat) ou Les mots et les choses. Cofondateur du Groupe d’information sur les prisons puis du Comité d’action des prisonniers (avec l’écrivain Serge Livrozet, ex-détenu), il condense ses recherches et réflexions sur ce thème dans Surveiller et punir, incontournable pour quiconque s’intéresse au sujet.

Son point de départ: le passage de supplices publics aux exécutions cachées. Foucault analyse ensuite la notion de châtiment et le pouvoir qui lui est lié, pour conclure (via une réflexion sur l’architecture carcérale, en particulier le panoptique) que la prison, système totalitaire, ne redresse pas les délinquants, mais rend acceptable le pouvoir de punir.

 

genetLe roman-témoignage: Jean Genet, Miracle de la rose, 1946

Etrange parallélisme entre Jean Genet (1910-1986) et Jack Henry Abbott. Les meurtres en moins… Genet aussi connaît la prison dès son plus jeune âge, pour vols. Lui aussi est défendu par des intellectuels, dont Sartre et Cocteau, qui obtiennent une grâce présidentielle en 1948. Lui aussi écrit sur la prison, mais avec un souci littéraire que n’avait pas Abbott.

Après Le condamné à mort et Notre-Dame-des-Fleurs, Jean Genet publie en 1946, Miracle de la rose, dernière de ses grandes œuvres écrites derrière les barreaux. Témoignage sur ses incarcérations et ses amours homosexuelles, le livre illustre surtout son art de hurler sa révolte dans un sty­le raffiné. Comme il l’explique­ra en interview: «Ces choses si particulières, je ne pouvais les dire que dans un langage connu de la classe dominante. II fallait que ceux que j’appelle “mes tortionnaires” m’entendent. Donc il fallait les agresser dans leur langue.»

prophète

Le film: Jacques Audiard, Un prophète, 2009

Le prisonnier d’Alcatraz, La grande évasion, Le reptile, Papillon, Midnight express, L’addition, Les évadés, La ligne verte… On n’en finirait pas de lister les films qui évoquent l’univers carcéral. Tous ont pris un sacré coup de vieux en 2009, quand Jacques Audiard a sorti Un prophète, récompensé par neuf césars et le Grand Prix du jury à Cannes.

Filmé au plus près, avec une intensité sans faille, Un prophète suit le parcours en prison du jeune Malik, qui gagne la protection d’un caïd corse, César, en assassinant un témoin gênant. Engrenage imparable et plongée sidérante dans ce monde à part, Un prophète se présente aussi comme une confrontation d’acteurs de haut vol, la révélation Tahar Rami et le routinier Niels Arestrup, effrayant dans le moindre regard. Un grand film signé d’un réalisateur qui confirmera, trois ans plus tard avec De rouille et d’os, qu’il est sans doute le cinéaste français le plus passionnant du moment.

Posté le par Eric dans Littérature Déposer votre commentaire

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