Boris Razon, un voyage à travers les enfers

A 29 ans, Boris Razon contracte une maladie inconnue qui le laisse un mois dans le coma, totalement paralysé. Son roman, Palladium, nous entraîne dans un stupéfiant voyage aux confins de la conscience.

Par Eric Bulliard
«J’ai passé 29 jours à traverser les enfers. Et, pour mon malheur, tout ici est vrai.» Cette traversée, hallucinante, a donné naissance à Palladium, un livre hors du commun. Un premier roman que Boris Razon a tiré de sa propre histoire. En 2005, ce jeune et brillant journaliste français se retrouve totalement paralysé, en quelques semaines, à la suite d’une maladie neurologique inconnue. Avant la renaissance, il passe près de trente jours dans le coma, vécus comme un voyage délirant et douloureux qu’il décrit avec une précision sidérante.

A l’époque, Boris Razon a 29 ans. Il dirige lemonde.fr, à Paris. Rentré depuis peu de Croatie et de quelques jours en Grèce, il se sent fatigué. Sueurs froides, mal de dos. Puis fourmillements, douleurs dentaires, malaise général. «C’est comme si un poison s’attaquait à la gaine de mes nerfs», lâche-t-il à sa compagne. Débute la ronde des médecins et des examens, sans que personne ne détecte rien d’anormal.

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«La métamorphose, elle, était à l’œuvre», écrit Boris Razon. «Mes membres se sont vidés de leur substance, de leur sens. Très progressivement, de manière implacable, tout a foutu le camp.» Dans la peur et l’incompréhension, il voit cette «métamorphose» s’achever: «Immobile, imperturbable, impénétrable, derrière mes yeux paralysés, j’étais devenu le Sphinx.» Le roman bascule alors pour près de 300 pages d’un labyrinthe délirant, stupéfiant morceau de bravoure littéraire.

Nous voici donc plongés dans une nuit atroce. Son témoignage (effet de la maladie ou des médicaments?) ne ressemble guère aux récits habituels. Un jour, il entend «plus de signes vitaux…» et enchaîne, avec sa manière de s’adresser au lecteur: «Ça t’intéresse, hein, la mort? Evidemment, tu es comme tout le monde.»

Et, plus loin: «Tu sais ce que racontent tous ceux qui ont connu un coma, la near-death-experience et tout ça?» Ici, pas de tunnel ni de lumière au bout: «Dans mon cas, je dois le reconnaître, ça n’a pas du tout ressemblé à ça. Non, c’était plus réel, plus sérieux, moins métaphorique.» On pourrait ajouter moins apaisé, plus effrayant.

Zombies et horde de malades
Boris Razon nous entraîne en effet dans un tourbillon aux confins de la conscience, bien au-delà du monde connu. Le voici devant des prostituées japonaises, dans des émeutes de banlieues, en train d’assassiner quelqu’un, d’attaquer Singapour… Son sommeil immobile est peuplé de terroristes, d’une «horde assoiffée de sang et de chair fraîche», de zombies et d’hommes-oiseaux.Boris Razon

Il y aurait beaucoup à dire sur les angoisses, les colères et les obsessions personnelles qui pointent derrière son récit. Mais l’essentiel reste la puissance à la fois émotionnelle et littéraire de ce témoignage. Comme pour le ramener à la réalité (à notre réalité), Boris Razon parsème son texte d’extraits du dossier médical et de rapports infirmiers. Où l’on se rend compte, à travers un jargon scientifique abscons, que les médecins ne comprennent rien…

«Accroche-toi»
De temps à autre, du fond de son autre monde, le narrateur semble percevoir des échos très lointains de ce qui l’entoure. Comme le jour où, dans des émeutes de banlieue, il se prend une balle, «une décharge rouge vermillon ultraviolente […] entre les deux yeux.» Quelques lignes plus bas, le dossier médical indique «prélèvement liquide céphalorachidien»…

Plus tard, dans un passage particulièrement émouvant, alors qu’il erre dans la ville envahie par des hordes de malades, il voit apparaître sa compagne à la télévision: «Boris, je sais que tu es là et que tu m’entends. Il faut que tu t’accroches à moi, à nous, à la vie que nous avons eue. Les médecins cherchent tous une solution…»

Mais quelle solution, alors que le dossier médical aligne de désespérants «aucune amélioration motrice», «aucun mouvement de paupière»? Boris Razon va finir par la découvrir. «J’étais plongé dans des nuits multiples, comme des labyrinthes d’où je devais m’extraire. Je devais trouver la sortie. Je la savais en moi, quelque part.» Et le lecteur, tout en sachant qu’il va s’en tirer, souffre avec lui, étouffe, cherche de l’air, n’en peut plus de cet éprouvant voyage.

Pas indemne
Un diagnostic va finir par être établi: «Méningo-polyradiculonévrite aiguë, probablement de type Guillain-Barré atypique.» Les médecins apprécieront. Pour les autres, disons que c’était une belle saloperie… Peu à peu, Boris Razon revient au monde, à notre monde. Il ne saura jamais ce qui s’est passé: empoisonnement alimentaire? Eaux de baignade toxiques en Méditerranée? Piqûre d’insecte? Dans une dernière partie bouleversante, il raconte qu’il n’est désormais plus le même homme.

Avec le temps, il a certes pu reprendre une vie normale, se marier, poursuivre une carrière professionnelle à France Télévisions: cette semaine encore, il a été nommé directeur éditorial de France 4. Mais il n’est pas pour autant sorti indemne de cette traversée. «Je n’arrive pas à les évacuer, lui et les autres, les milliers de fous que j’ai croisés sur mon chemin.»

Boris Razon
Palladium
Stock,
480 pages

notre avis: ♥♥♥♥

Posté le par Eric dans Littérature Déposer votre commentaire

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