Harold Pinter, ce théâtre de l’inconfort

Dans une atmosphère d’étrangeté menaçante, Raoul Teuscher met en scène L’amant, de Harold Pinter au Théâtre des Osses, à Givisiez. Glaçant.

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photos Jeremy Bierer

Par Eric Bulliard

Quand les spectateurs entrent dans la salle, les deux comédiens se trouvent déjà sur scène, figés. En fond sonore, une musique lancinante, ponctuée d’un sifflement. Harold Pinter par la compagnie vaudoise Le Mérinos, que le Théâtre des Osses accueille à Givisiez jusqu’au 27 octobre, c’est un théâtre de l’inconfort. Et la mise en scène de Raoul Teuscher va jusqu’au bout de cette intention.
L’amant se déroule dans un logement bourgeois banal. Plutôt aseptisé et froid, avec son décor rétro. Là aussi, d’emblée, comme un malaise: tout paraît trop propre en ordre pour être honnête. De plus, le spectateur est mis à distance par un cadre-écran, au premier plan, qui le sépare de l’action tout en créant une impression d’artifice pas très éloignée du cinéma, cet art de l’irréel.

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Cette menaçante banalité
Raoul Teuscher ne s’en cache pas: l’atmosphère de son Amant se réfère en effet au cinéma d’Alfred Hitchcock, mais aussi à celui de David Lynch ou de Brian de Palma. Pas seulement par son esthétique ou des clins d’œil comme la perruque blonde, mais aussi par la sourde menace que l’on sent poindre derrière la banalité. Par moments, cette étrangeté quasi cauchemardesque rappelle aussi certains tableaux d’Edward Hopper. Une vision du quotidien qui cache mal une réalité glaciale.
Sans trop dévoiler l’intrigue, rappelons que la pièce met en scène un couple apparemment sans histoire, si ce n’est que le mari, au moment de partir au travail, demande à son épouse à quelle heure va venir son amant. Histoire de ne pas les déranger. Sur cette situation de départ, Pinter tisse un jeu de faux-semblants, de séduction et de fantasmes, porté par un humour féroce parfaitement rendu par cette mise en scène.

Etrangeté pinterienne
Dans l’interprétation aussi, Raoul Teuscher et Anne Vouilloz misent sur une forme de décalage. Leurs dialogues sonnent faux, telle une façade ou, là encore, une représentation. D’ailleurs, leurs visages se métamorphosent dès qu’ils se retrouvent seuls et qu’ils amantterredeviennent eux-mêmes. Comme si les années d’intimité ne suffisaient pas à se défaire de ses masques.
Tout cela concourt à rendre cet Amant bizarre, mais jubilatoire pour qui accepte de se laisser emporter dans cette ambiance toute pinterienne. Raoul Teuscher n’hésite pas à pousser loin son parti pris, jusqu’à la violence dérangeante, jusqu’à changer la fin.
Dans le jeu comme dans la mise en scène, la pièce conjugue l’ironie cruelle et le drame. Non pas successivement, mais en même temps. C’est dire qu’il faut du doigté pour monter un spectacle de ce type. Derrière les apparences rudes, presque vulgaires, un travail tout en finesse.

Givisiez, Théâtre des Osses, jusqu’au 27 octobre. Ve-sa 20 h, di 17 h. Réservations: 026 469 70 00, www.theatreosses.ch

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