Charmey, deux regards au-delà du mythe de la poya

Marie Oberson, peinture©C.LambertPar Eric Bulliard

Le Musée de Charmey présente les œuvres de deux femmes paysannes. Autodidactes, elles témoignent d’un monde qui leur est cher.
Elles ont une fraîcheur qu’on ne voit pas si souvent dans un musée. En présentant les œuvres de Marie Oberson et Agnès Rey, celui de Charmey met en évidence deux visions de l’univers campagnard et alpestre. Celles de deux femmes paysannes, entre naïveté et art brut.
Restée célibataire, Marie Oberson (1910-1996) a peint les souvenirs d’un monde perdu, celui de son enfance et d’une bonne partie de sa vie d’adulte, passée à la ferme de la Fontanettaz, à Villariaz. Forcée à quitter les lieux à 52 ans, elle se met à peindre, «pour oublier», affirmait-elle. Son premier tableau cherche à reproduire la poya qui se trouvait à la Fontanettaz. Elle exerce ensuite son art avec frénésie, sur tous les supports qu’elle a sous la main: cartons, pavatex, tissus…

«Je peins ce que je vois»
«Marie Oberson peint dans l’urgence, ce qu’elle voit. Elle n’invente rien», relève Patrick Rudaz, conservateur du Musée de Charmey. Elle représente des fleurs, des poules, des vaches, quelques poyas. Sans souci de perspective ni de beauté. Elle qui n’a jamais voyagé (elle est allée une fois à Fribourg, selon Patrick Rudaz) a dû s’inspirer de cartes postales pour représenter Sargans ou la grotte aux Fées.

Images du temps passé, vie paysanne, et ce mélange émouvant d’élan vital et de désespoir. Ses couples d’amoureux sont parfois accompagnés de ces mots touchants: «Un rêve échoué.»

Souvent, les tableaux de Marie Oberson se font plus intimes. La figure de Marguerite Bays, par exemple, témoigne de sa foi. Et ses couples d’amoureux sont parfois accompagnés de ces mots touchants: «Un rêve échoué.» Son cycle des saisons qui, disait-elle, lui tenait chaud parce qu’il isolait ses murs, apparaît comme un concentré de son œuvre: images du temps passé, vie paysanne, et ce mélange émouvant d’élan vital et de désespoir. Avec une naïveté qui apparaît également dans les légendes: «Ont fanent pour les vaches en vacances.»
«Je peins ce que j’aime»
Egalement glânoise, Agnès Rey, née en 1923, n’a pas eu la vie aussi rude et solitaire que Marie Oberson. Femme de paysan, elle a élevé huit enfants et ne s’est mise à peindre qu’à la perte de son mari, en 1993. Uniquement des poyas. Qui, comme chez Marie Oberson, prennent sens dans la répétition.
Pour support, elle aime le bois, en particulier les planches qui ont gardé leur écorce. «Agnès Rey prend une série de motifs, des vaches, un chalet, une fontaine, des montagnes et multiplie les poyas à partir de ce vocabulaire», indique Patrick Rudaz. Un travail qui se fonde aussi sur l’urgence et un besoin de combler un vide.
Là encore, pas de souci de perspective ni de réalisme. Mais des verts puissants, des armaillis souriants. L’image d’un monde qu’Agnès Rey a connu et apprécié: «Je peins ce que j’aime», affirme-t-elle. Qu’importe si tel chien paraît disproportionné, si tel autre semble suspendu dans un arbre. L’important n’est pas d’exposer ni de vendre, mais de témoigner, de se souvenir, avec authenticité. «La poya tient du mythe, relève Patrick Rudaz. Ici, nous ne sommes pas du tout dans cette dimension-là.»

 
Musée de Charmey, jusqu’au 5 mai. www.musee-charmey.ch

Agnès Rey,peinture©C.Lambert

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