L’hitchcockien sauce ketchup

Hitchcock2Deux silhouettes reconnaissables entre mille se découpent sur les écrans bullois ces temps-ci. La première, toute en longueur et en poils de barbe, est l’ombre projetée d’Abraham Lincoln. La deuxième, toute en rondeur et en double menton, est le profil ciselé d’Alfred Hitchcock. Deux silhouettes illustres pour deux acteurs britanniques de génie. Daniel Day-Lewis ressuscite le seizième président américain dans un film qui le porte. Anthony Hopkins donne un deuxième souffle à Sir Alfred dans un film qui le plombe.

Hitchcock, de Sacha Gervasi, est un «biopic» de plus. Banal, formaté, superficiel. Le maître du suspense réduit à l’état soporifique, un comble! Peut-être que seul aurait valu un autoportrait! Hitchcock par lui-même. Le fait est que le réalisateur n’avait pas son pareil pour mettre en scène son propre personnage. Face à toutes les caméras, qu’elles travaillent pour le cinéma ou la télévision.

Dans sa série Alfred Hitchcock présente, il savait dégoiser un «bonsoir» sévère et vous prescrire la morale de l’histoire comme personne. Le film de Gervasi promet d’emmener le spectateur derrière la façade de papier peint. Il se propose de soulever le masque. L’homme derrière le personnage. Le projet part du bon pied en choisissant de faire résonner les tumultes qui ont accompagné le tournage de Psychose.

Deux scènes touchent au but. D’abord, la restitution de la fameuse scène de la douche. On assiste alors à un Hitchcock inédit, couteau en main, à deux doigts de concrétiser dans le sang les fantasmes qu’il vivait en les couchant sur la pellicule. La distribution donne le vertige: Scarlett Johansson interprétant Janet Leigh qui joue Marion Crane sous la direction d’Alfred Hitchcock incarné par Anthony Hopkins. Des combinaisons qui laissent rêver à tous les possibles. Ensuite, la scène de l’avant-première de Psychose, entendue, mais néanmoins éloquente. Derrière la porte d’accès de la salle de cinéma, on y voit le réalisateur donner des coups de couteau dans le vide comme un chef d’orchestre jouant de sa baguette. Un marionnettiste qui dirige les spectateurs sans les voir, qui les manipule à travers la curiosité et l’effroi en leur montrant tout ce dont il est capable.

D eux scènes touchent au but. Mais deux scènes ne suffisent pas à sauver le film

La scène est l’illustration parfaite d’une réponse que faisait Alfred Hitchcock à François Truffaut: «L’essentiel est d’émouvoir le public et l’émotion naît de la façon dont on raconte l’histoire, de la façon dont on juxtapose les séquences. J’ai donc l’impression d’être un chef d’orchestre, un coup de trompette correspondant à un gros plan et un plan éloigné suggérant tout un orchestre jouant en sourdine.»
Mais deux scènes ne suffisent pas à sauver le film. Ce dernier s’évertue à redorer le blason de la femme du maître. Dire la collaboration de l’épouse est une chose, la montrer en aurait été une autre, préférable sans doute. Au final, le propos est anecdotique et le film tient l’équilibre tant qu’il présente un Hitchcock fidèle à son personnage.

Alfred a donné ses lettres de noblesse au MacGuffin. On appelle MacGuffin l’élément moteur de l’histoire qui pourtant n’est que vaguement décrit et se révèle au final sans importance. Un prétexte en somme sur lequel reposera un développement autrement plus intéressant. C’est l’attaché-case au contenu mystérieux dans Pulp fiction par exemple. Dans Hitchcock, Sir Alfred est un MacGuffin qui occupe tout le film. De quoi se retourner dans sa tombe. 

par Yann Guerchanik
Hitchcock de Sacha Gervasi, avec Anthony Hopkins, Helen Mirren, Scarlett Johansson, Jessica Biel

notre avis: ♥

 

 

Posté le par Eric dans Cinéma, Critiques Déposer votre commentaire

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