Eric Holder: l’équilibre, cet idéal de l’écrivain délicat

Un bouquiniste vit tranquillement dans sa librairie perdue au fond de la forêt quand déboule une blonde incendiaire. Tel est le point de départ de La belle n’a pas sommeil, nouveau miracle d’équilibre de l’écrivain français Eric Holder.

©Hermance Triay

Par Eric Bulliard

A la fin de chaque nouveau roman d’Eric Holder, cette question: mais comment fait-il? Comment parvient-il à cet équilibre, à cette simplicité qui ne devient jamais banalité, cette limpidité qui ne tombe pas dans la facilité, cette sensibilité qui évite la mièvrerie? Il faudrait ajouter encore ce doux mélange entre sourire et mélancolie, finesse et force, évidence et surprise… Le romancier de Mademoiselle Chambon a atteint une forme de plénitude, comme le confirme La belle n’a pas sommeil.

Eric Holder aime les héros du quotidien, légèrement en marge. Ainsi d’Antoine, le narrateur de ce nouveau roman. Bouquiniste, il a choisi d’installer sa librairie dans une fermette rénovée, au milieu de la forêt, non loin de l’océan. «Pas misanthrope» pour autant, assure-t-il: «J’aime les hommes, les femmes, les enfants… Mais anachorète: je crains leur nombre.»

Dans sa «boutique introuvable», Antoine ne vit pas tout à fait à l’abri du client: il en vient de temps en temps, un «tous les trois ou quatre jours, en moyenne». Il a aussi noué une amitié avec Marco, le garde champêtre, qui passe régulièrement boire le café, et une relation plus ou moins distante avec Marie, la boulangère du village voisin. Il nourrit ses chats, se couche à heure fixe, s’inquiète de constater le vol de ses romans de Frédéric Berthet. Pour boucler les fins de mois, il recouvre de papier cristal des livres pour Madame Wong, également libraire, mais pas de la même catégorie.

L’univers tranquille d’Antoine va se trouver bouleversé par l’arrivée de la blonde Lorraine, son sourire immense et ses «yeux ciel d’Islande». La jeune femme loue la seule maison voisine, pour se rapprocher de sa mère malade.

La terre, le vent, le soleil
Installé depuis une dizaine d’années dans le Médoc, Eric Holder place régulièrement ses romans dans sa région d’adoption. Parfois en y mêlant de subtiles traces autobiographiques. Deux ans après le marché de La saison des Bijoux, La belle n’a pas sommeil se situe à nouveau près de l’Atlantique. La presqu’île n’est pas nommée, mais on y reconnaît cette même terre de vent et de soleil.

Le roman se déroule de septembre – qui «autorise encore le port des sandales» – au retour des beaux jours, où l’on retourne «voir notre vieux copain l’océan, à nouveau glabre, lisse, après sa broussaille de saison». Sans surcharge de lyrisme, Eric Holder excelle à dire la nature et les changements de saison, qu’il s’agisse d’octobre «resté suspendu aux lèvres du soleil abondant» ou des mois d’hiver: «A peine les prés exposés au soleil dégèlent-ils, devenus spongieux, qu’avec le soir, le froid les fige à nouveau, les tartinant de sucre blanc.»

Un autre regard
Avec son titre qui renvoie à La belle au bois dormant et cette Lorraine conteuse de profession, le livre se présente aussi comme un éloge aux contes, aux histoires, à la fiction. A cet art de créer des mondes, de vous emmener ailleurs qu’Eric Holder démontre avec délicatesse.

C’est là une autre facette étonnante de cet écrivain: ses romans s’appuient sur le quotidien pour proposer des échappées inattendues. Pas de coup de folie ni d’envolées oniriques, mais un léger pas de côté, un discret chemin de traverse.

Cette même vision de biais se retrouve chez ses personnages, à la fois extraordinaires et familiers, si attachants, alors qu’ils pourraient être là, au coin de la rue. Il suffirait de mieux les voir. Eric Holder a aussi ce don de nous aider à changer notre regard sur le monde et les gens.

Eric Holder, La belle n’a pas sommeil, Seuil, 224 pages

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