Anne Brécart: une recherche au féminin

La romancière genevoise Anne Brécart continue son exploration de l’intime dans Cœurs silencieux. 
Il y est question 
d’un premier amour et de la nature. Interview autour du temps et 
du pouvoir de l’écriture.

© Romain Guélat

Par Laurence de Coulon
Cœurs silencieux, dernier roman de la Genevoise Anne Brécart, c’est l’histoire d’Hannah, qui a quitté son compagnon après vingt-cinq ans de vie commune. Elle revient au village de sa famille maternelle et y retrouve son premier amour, Jacob. Remontent alors les souvenirs de son adolescence, sa différence et sa solitude parmi les autres.

Surgit aussi l’atmosphère de cette époque révolue, l’odeur du feu qui collait à ses habits, le piano de la cousine Emma, les personnages bibliques de sa tante. Et le désir pour Jacob revient, un désir de protection ranimé par ses larges épaules. Dans le froid de la vieille maison et les odeurs de la terre, que reste-t-il de cet amour fui par Hannah il y a si longtemps?

D’où vient Cœurs silencieux?
Anne Brécart: Avec ce livre, j’ai essayé de renouer avec un de mes ouvrages précédents, Le monde d’Archibald, cette histoire de vieille famille décatie, au monde finissant. J’avais aussi un autre axe, l’idée de l’amour. Dans cette famille, il y a l’amour de la religion, hérité du début du XXe siècle. Et d’un autre côté, il y a cette femme plus toute jeune qui vit le désir, l’amour qui bouleverse. J’avais aussi envie de parler d’une région rurale et du rapport à la nature.

Votre narratrice est amoureuse d’un homme. Comment le trouvez-vous ?
Mon personnage masculin, je l’aime beaucoup, je le trouve très attachant. Il est censé être mystérieux, insaisissable. Hannah ne sait pas quoi faire avec lui. En gros, il a peur de l’amour, il ne veut pas s’engager. Mais je ne voulais pas que ce soit trop explicite, je ne voulais pas faire une caricature. S’il était clairement trop salaud, ça n’expliquerait pas pourquoi elle y est si attachée. Je voulais qu’on le voie de la même manière qu’elle.

La vieille famille de votre livre est sensible à l’art. Y a-t-il des familles où il est plus facile d’être artiste ?
Si on vient d’un milieu où l’on est censé travailler dans la banque, ça passe mal d’être écrivain. C’est rare le milieu où il est normal d’être musicien ou peintre. Ça n’a pas grand-chose à voir avec la bourgeoisie ou pas. Je pensais venir d’une famille d’artistes, avec un père et un grand-père peintres, mais c’est compliqué.

Dans Cœurs silencieux, l’écriture donne un certain pouvoir 
à la narratrice. Est-ce que l’écriture vous donne du pouvoir ?
C’est sûr que l’écriture m’a appris à être seule, à voir que c’est moi qui décide, au fond. Elle m’a appris à aller de l’avant dans des choses que les trois quarts des gens vont trouver bizarres. J’ai développé une confiance en moi, alors que je ne suis pas particulièrement confiante. Je me permets de faire des choses non conventionnelles et je pense que c’est lié à l’écriture. Mais, concrètement, on peut voir que la culture ne sert à rien. Dans ce sens on peut dire que Cœurs silencieux est compensatoire. Dans cette histoire, l’écriture a vraiment une incidence directe sur les personnages qu’elle transforme.

«L’écriture est une violence faite 
à l’autre, parce qu’on prend la parole pour dire: “C’était comme ça” et on fige une réalité commune.

Et votre façon d’écrire, 
qui romance des faits réels 
de votre vie, peut-elle blesser vos proches ?
Oui, là, il y a un pouvoir négatif. Quand j’ai publié Le monde d’Archibald, globalement, toute ma famille s’est fâchée avec moi. L’écriture est une violence faite à l’autre, parce qu’on prend la parole pour dire: «C’était comme ça» et on fige une réalité commune, on la rend unique et définitive. Les concernés y lisent une condamnation, un jugement très violent.

Je ne regrette pas d’avoir écrit, parce que dans mon esprit, les mots appellent les mots. Mais il doit y avoir quelque chose de tellement violent dans l’écriture qu’on ne peut pas répondre de façon normale. Elle empêche un dialogue équitable. Le silence est une bonne réponse.

Votre histoire est-elle plus 
une histoire d’amour 
ou de trahison?
Une histoire de temps. Comment se réconcilier avec le temps. Au lieu de faire du passé quelque chose de triste et perdu, comment le rendre présent, et travailler dans le présent. C’est ce que j’ai essayé de faire avec une sorte de réconciliation à la fin.
Au lieu d’appréhender l’âge comme une défaite, on l’appréhende comme une plénitude parce qu’on est en lien avec son passé. Là, on retrouve la question de l’écriture. Si on a pu revisiter son histoire et en faire autre chose qu’une collection d’échecs, si on arrive à en faire quelque chose de positif, dans ce sens-là, on a un certain pouvoir.
Anne Brécart, Cœurs silencieux, Zoé, 160 pages

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

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