La nuit tombée, Paul Plexi n’a pas menti

Mercredi soir, Paul Plexi a conquis le public des Francomanias. Ancien vainqueur de la Nouvelle star, le Glânois présentait Prototype, son premier EP. Reportage sur les pas du chanteur, entre trac, rigolade et leçon d’humilité.

par Christophe Dutoit

Il l’a fait, le bougre! Au moment des rappels, Paul Plexi est remonté seul sur scène. Le regard droit dans les yeux du public venu en nombre sur la place du Marché, il a lentement réaccordé sa guitare et il a chanté La nuit je mens. «Il n’y a pas une seule interview où l’on ne me parle pas d’Alain Bashung. Du coup, je vais tenter une reprise.» A la fraîche, avec sa voix de velours, il a gagné, hier soir, bien plus que le respect des Francomanias.

Quelques heures plus tôt, le Glânois de 28 ans déchargeait tout seul ses guitares et son ampli. «Aujourd’hui, je suis aussi en mode roadie», se marre-t-il en compagnie du batteur Alberto Malo, qui fait de même. «Peut-on poser le matériel derrière la scène?» demande le chanteur à Simon, le stage manager. «Euh! il n’y a pas de derrière…» s’entend-il répondre. En guise de coulisses, un container bleu, en cas de pluie. «Et les loges?» demande le batteur, dubitatif devant cette place du Marché qui attend la foule. Arrive Emmanuel Colliard, le programmateur. «Je vous y emmène?» Sauvés.

En guise de backstage, les artistes ont droit à rien de moins que le premier étage du château, dans les anciens locaux du tribunal. Des sièges un peu frustes ont certes remplacé les canapés de l’an dernier. Finies les siestes réparatrices…

Sous les stucs, une bénévole cherche le manager de Paul Plexi. Regards amusés. «C’est moi le manager, sourit le chanteur, pendant que ses musiciens se gaussent en toute complicité. Les gens croient que, parce que j’ai gagné la Nouvelle star, je suis aujourd’hui une star, nous racontait-il lundi (dans une interview à lire ci-dessous). C’est une leçon d’humilité.»

Pince-sans-rire délicieux, Paul Plexi joue le jeu. Au préposé à l’annonce d’avant concert, qui lui demande comment le présenter au public, il répond juste: «Je suis le gars qui donnait des concerts dans les bistrots à Bulle…» «Je ne parle pas de la Nouvelle star?» demande quand même le bénévole. «Non, c’est moi la nouvelle star…» Eclats de rire.

Il est 15 h 40. Paul Plexi donne une interview pour Radio Paradiso. Lui parlera-t-on de Bashung? Evidemment, comme à chaque fois. Une heure plus tard, au tour de Radio Fribourg. Pendant ce temps, la balance a commencé sous les premières gouttes. Mauvais présage. «C’est génial de jouer en première partie, on peut tout laisser sur scène», note le bassiste Simon Gerber, habitué aux tournées avec Sophie Hunger. «Ce sera le cas toute ma carrière», répond le Glânois. Au moment où le trac commence à pointer, rien de tel qu’une bonne vanne pour détendre l’atmosphère.

«Zéro franc par disque»
De tension, il en est question quelques minutes plus tard, lorsque la guitare de Sacha Ruffieux ne délivre plus le moindre son. Stress sur le plateau. Un tournevis en croix? Il démonte, remonte. Miracle, la Fender vintage crache à nouveau son venin. Tandis que chaque musicien prend ses marques, les techniciens branchent les micros. Tout à coup, les quatre jouent à l’unisson Pourquoi tu me regardes de haut. Wouah, quel son!

Nonante minutes plus tard, Paul Plexi monte pour de bon sur la scène de la place du Marché. Il attaque Ne le dis à personne, issu de Prototype, sorti cet été. Le public déguste et… filme. «Ce premier EP n’aurait pas pu être fait sans vous», remercie le chanteur, en référence à la levée de fonds qu’il a suscité. «Je vous garantis que zéro franc par disque vendu ne sera reversé à Universal!» Tonnerre d’applaudissements.

Très à l’aise, Paul Plexi enchaîne les titres en français – avec une mention spéciale à Pythoud Cycles, pour les connaisseurs – et les chansons en anglais qu’il prépare pour son nouveau disque. Avec une reprise inspirée de Gazoline man «d’un autre groupe fribourgeois» (The Young Gods) et Black room, avec une magistrale démonstration de Sacha Ruffieux. Quelle classe!

Puis, Paul Plexi remonta sur scène pour chanter La nuit je mens… Avant de dédicacer ses disques et de poser pour des selfies. Une nouvelle star, disiez-vous?

 

 

Quelles sont les premiers échos de votre disque Prototype, publié cet été?
Je suis très content de la sortie du EP. C’est la finalisation d’un rêve de gosse. Forcément, il y a une part d’émotions. Je joue de la guitare et je chante depuis des années. J’en suis fier.

Pour l’instant, je fais tout de manière indépendante. Il faut que je travaille sur la promotion. J’essaie de trouver un distributeur en France. Tout prend du temps, car je suis tout seul sur le projet. En tant que gagnant d’un télé-crochet, j’aurais pu viser des ventes beaucoup plus grosses, si la production avait joué le jeu. Mais ce n’est pas le cas. Universal me boycotte. Du coup, je ne peux pas atteindre les 30000 ventes…

Vous êtes en conflit avec Universal, qui s’est séparé de vous. N’avez-vous pas envie de tirer un trait sur cet épisode?
Je vais de l’avant. J’ai bossé avec mes musiciens pour que ce disque sorte. J’ai refusé les compromis. Cette inflexibilité a fait que je me retrouve viré de la maison de disques. Très concrètement, ils préfèrent mettre en avant un autre artiste… un ancien de la Nouvelle Star, qui est aussi acteur. Il est plus intéressant pour le label…

La maison de disques trouvait que je sonnais trop Bashung et elle pousse ce gars en disant qu’il est le nouveau Bashung… En fait, je dérange ce mec-là, il faut que le nouveau Bashung soit français.

Avez-vous fait des démarches pour trouver une nouvelle maison de disques?
J’essaie. J’ai eu des échanges d’e-mails. Ça ne se fait pas tout seul. Il faut faire ses preuves, on observe le nombre de vues sur Youtube… Les maisons de disques recherchent des produits clé en main… Ma stratégie est donc de continuer en indépendant durant quelques années, de développer mon projet…

Revenons à la musique, comment avez-vous écrit ces six titres? Racontez-nous votre rencontre avec Sacha Ruffieux?
Je connais Sacha depuis des années. On est tous les deux des passionnées de guitares, mais on n’avait jamais fait de musique ensemble. Lorsque Dominique Rime m’a proposé de jouer en première partie de Thomas Dutronc à la salle CO2, mes titres étaient en cours de développement. Rien n’était abouti. J’ai dû former un groupe pour l’occasion. Je me suis demandé: «Qui serait le top pour ce gig?» Quand on suit le paysage musical romand, on sait que Sacha est un caméléon, capable de se greffer sur un projet tout en restant au service de la musique. Dès la première répétition, j’ai été subjugué par ce qu’il jouait, comme ça, spontanément. Il a apporté les arrangements qu’il fallait. Trop souvent, les guitaristes veulent en faire trop. Lui a compris ce que cela signifie d’habiller la musique.

Du coup, on s’est rappelé après ce concert. Il est venu à Paris pour enregistrer des démos chez Universal. Des liens se sont tissés. Lorsqu’ils m’ont viré, on a naturellement décidé de finir le projet ensemble, dans un esprit bon enfant, sans pression. Avec lui, Alberto Malo et Simon Gerber (la section rythmique de Sophie Hunger),  j’ai pu travailler de manière très à l’aise.

Pour revenir à cette filiation avec Bashung, n’est-elle pas le fait d’un attachement à la langue française, à faire sonner les mots en français?
J’ai découvert Bashung à l’époque de Bleu pétrole lorsque j’étais en apprentissage. En fait, je suis vraiment passé à côté. Je ne peux pas faire une interview sans qu’on cite dix fois son nom. C’est troublant, car je ne me suis pas levé un matin en me disant: «Je vais faire du Bashung.» Mich Olivier, l’ingé son qui a bossé avec Bashung et Gainsbourg sur Play blessures, m’a écrit sur Instagram un truc du genre: «Les mecs qui n’entrent pas dans le moule Universal m’intéressent… Dans le milieu, quand on dit qu’un mec sonne trop Bashung, c’est plutôt un compliment.» Je lui ai envoyé mes maquettes. Ça lui a plu. Et il a participé au projet. Tout comme Jean Fauque (parolier de Bashung), avec qui on a enregistré Tour operator. Tout cela m’a conforté dans le fait de ne pas avoir peur de cette filiation et d’aller à fond dans le projet.

Où en est votre projet d’enregistrer un album?
Dans un premier temps, je vais enregistrer un EP en anglais. J’ai beaucoup de contacts en Suisse allemande. Mais, avec un projet en français, c’est difficile d’être programmé en radio, de faire des concerts. Je ne cherche pas le rendement à tout prix, mais j’ai envie d’explorer d’autres univers et de voir ce qui fonctionne le mieux. Aux Georges, les titres en anglais se sont bien mariés aux autres.

En outre, j’ai des contacts avec Oli le Baron, qui a joué avec Jean-Louis Aubert ou Raphaël. J’adore ce guitariste, on a bossé par le passé sur quelques maquettes. Ce serait un cool réalisateur. On verra.

Pour l’instant, j’essaie de gagner de l’argent avec la musique. Je bosse à mi-temps, mais je ne vais pas pouvoir continuer éternellement. Je sors presque de l’argent pour jouer. C’est dur de négocier des cachets qui permettent de bien payer tout le monde. Parfois, je paie de ma poche les répétitions. Les jeunes artistes ne peuvent pas prétendre à des cachets mirobolants. Avec ce qu’on propose aux artistes suisses, on ne peut pas rémunérer l’investissement global pour un concert. Certains programmateurs de festival m’ont dit: «Si tu n’es pas content, il y a trente groupes qui attendent derrière…»

Racontez-nous votre première découverte de la guitare…
A l’âge de dix ans, j’ai chopé un job le mercredi après-midi et le samedi chez Capu Chavanaz, à La Tour-de-Trême, qui réparait des vélos. Ce gars était tellement charismatique. Il avait des guitares dans le garage, pour impressionner les nanas. Je les regardais et, un jour, il m’a dit d’en prendre une à la maison. J’ai commencé à jouer pour moi. Il m’a mis un pied à l’étrier. Un jour, il m’a téléphoné pour m’avertir qu’il y avait un concours de chant à Romont. Il m’a dit: «Tu vas là-bas et tu les éclates tous!» Et j’ai gagné le concours.

Entre-temps, j’ai été choisi comme soliste pour le concert de Noël du chœur du village. A la fin, les gens sont venus vers moi en me disant que j’avais un don. J’ai pris des cours à Bulle avec Michel Kuhn, chanteur lyrique et fou de guitares. Dans son appart, il y avait un immense bordel, des guitares partout, même dans les chiottes.

Puis j’ai fait ma première télé avec Alain Morisod à l’âge de 16 ans, avec La montagne de Jean Ferrat. Il m’a invité pour la tournée, mais j’ai découvert que tout était en play-back. Moi je voulais chanter en direct. J’ai ouvert ma gueule, gentiment. On ne s’est plus reparlé durant dix ans. Après cette première télé, mes parents ont flippé. J’ai mis tout ça en stand-by pour commencer mon apprentissage de mécanicien sur vélo, chez Pythoud, à Bulle. Durant cette période, j’ai essayé de monter des groupes de reprises. C’était une belle expérience, j’ai beaucoup appris de la scène. A la fin de mon apprentissage – j’ai fini premier du canton – mon père m’a offert un ampli à lampes fait main. J’ai trouvé ça énorme. Ça m’a motivé à fond. Durant cinq ans, j’ai pas mal joué seul (ou avec des loops), dans les bars, pour des animations. Puis j’ai fait les premiers télé-crochets.

L’envie d’écrire vos propres chansons n’est venue que tardivement…
Avec les groupes que j’avais, je n’avais peut-être pas assez confiance en moi. Il y avait trop d’éléments perturbateurs. Mes potes de vingt ans étaient dans un trip où il fallait que ça masse, avec des amplis à bloc. J’ai longtemps chanté en anglais, j’ai enregistré beaucoup de maquettes. Le français est très récent. L’implication est très différente en anglais. Je n’arrive pas à y mettre mes tripes, à faire des jeux de mots, à trouver des métaphores aussi jolies. Il faut être de langue maternelle anglaise. Malgré mon projet d’EP en anglais, le plus important reste malgré tout le français.

 

Posté le par admin dans Francos 2017 1 Commenter

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