Mahadev Cometo: «Je fais ce que je veux, j’ai la pêche et je la distribue»

Alain Monod, alias Mahadev Cometo, vernit son premier album, Freedom,
mercredi à Nuithonie. Rencontre avec l’ancien «jeune dieu» devenu «grand dieu».

par Christophe Dutoit

«Les Young Gods, c’était déjà de la musique de niche. Mais alors là, c’est carrément de la tête d’épingle… De toute façon, je fais de la musique juste pour mes oreilles.» Toujours le mot pour détendre l’atmosphère, sacré Alain Monod, connu sous nos cieux comme Al Nox, puis Al Comet. A quelques jours du vernissage de son album Freedom, mercredi à Nuithonie, le Fribourgeois, qui répond désormais au pseudonyme de Mahadev Cometo, raconte les méandres de cet enregistrement. Devant un café turc, dans sa cuisine marlinoise.

«Je voulais bosser avec Martin Glover, alias Youth, bassiste de Killing Joke, coproducteur du dernier Pink Floyd, compère de McCartney. Je lui ai envoyé un SMS, du genre: “Je veux enregistrer un disque avec un sitar et un tempo lent, j’ai besoin de tes talents.” Il m’a appelé le lendemain.» A cette époque, Alain Monod s’occupait de son papa malade et il a attendu quelques jours avant de s’envoler pour Londres. «On s’est vus, on s’est marrés toute la soirée et on a commencé à travailler. Lui avait la vision de quelque chose de plus dub, un peu commercial. Moi je voulais jouer mon râga indien…»

En 2015, il finit d’enregistrer les pistes dans son salon et envoie les bandes à Youth. «Tu as mixé le sitar trop derrière, lui dit-il. Ça veut dire que je ne joue pas assez bien?» Rendez-vous est donné trois mois plus tard…

Sortir les samplers
Al Comet a encore des flè-ches dans son carquois: sortir ses samplers, lui qui a été derrière les machines des Young Gods durant vingt-cinq ans. Après avoir «tout zappé» en 2011, lors de sa résidence à Bénarès, il se rééquipe avec un échantillonneur nouvelle génération. «Ça m’a pris du temps de revenir sur terre. Mais j’ai obtenu ce son kaléidoscopique que j’avais en tête depuis le début. Cette machine a sauvé la mise. C’est toujours du sitar, mais du sitar dépoussiéré. Mon gourou en Inde a parlé de la munificence de mon son. C’est flatteur.»

Le retour à Londres ne se passe toutefois pas comme prévu. Malgré des basses enregistrées par Jah Wobble (légendaire bassiste de P.I.L.), Youth «sort les violons» et s’évertue dans une voie qu’il juge trop commerciale. «Youth est un musicien rock, comme je l’étais avant. Il n’a pas eu ma chance. D’avoir de l’intérêt pour un nouvel instrument, alors que je pensais tout savoir, que je croyais que rien n’avait plus de secret pour moi. Il est dans son carcan, dans son propre savoir. Il ne parvenait à se raccrocher à rien, car le terrain était trop nouveau. Après cette semaine de mixage, j’avais l’impression qu’on pouvait faire mieux.»

De retour à Marly, il fait le point et le poing dans sa poche. «Au départ, j’étais un musicien qui voulait faire une performance sitaristique. Puis, je suis devenu un auditeur. Je n’ai plus besoin de me prouver à moi-même que je sais jouer de cet instrument. Maintenant, je suis pris à mon propre piège. Il n’y a plus de place pour personne d’autre que moi dans ce projet.»

Ni une ni deux, Alain Monod reprend les commandes. «Youth était une étape du processus. Je n’ai malheureusement pas utilisé ce qu’il a fait, mais il m’a énormément aidé.»

«Freedom», la liberté
«Avec cette démarche, j’ai retrouvé la même énergie que quand j’ai commencé avec les Young Gods, à la fin des années huitante. J’aime les terrains en friche, les nouveaux espaces sonores, les risques. Avec mon sitar, je ne suis pas sûr de pouvoir jouer à Fri-Son, à l’Usine ou à la Rote Fabrik.» Il reprend une respiration. «Quand nous avons décidé de stopper notre collaboration avec le groupe, je me suis rendu compte que nous étions devenus prisonniers de notre propre création. Nous n’étions pas aussi libres que nous ne le pensions, l’entité passait toujours devant. Mais je suis très content de ce qui a été fait avec les Young Gods. Je suis très fier. C’était une étape. A 58 ans, est-ce que j’ai tout donné? Non, je n’ai pas dit mon dernier mot! Et puis, je joue assis, c’est plus confortable (rires).

Je suis très content de ce qui a été fait avec les Young Gods. Je suis très fier. C’était une étape. A 58 ans, est-ce que j’ai tout donné? Non, je n’ai pas dit mon dernier mot! Et puis, je joue assis, c’est plus confortable.

Alain Monod monte dès lors sa propre structure et produit Freedom. «J’ai gueulé durant trente ans contre ces requins du music business et, maintenant, je crée mon propre label. Si je l’avais fait il y a vingt-cinq ans, j’aurais maintenant une piscine devant la maison.»

Yoga quotidien
Depuis quelques années, le Fribourgeois pratique quotidiennement le yoga et la méditation. «J’y trouve la force nécessaire pour faire les choses. J’ai une nouvelle compréhension du monde, de la vie. La question est la même depuis 3000 ans: faut-il faire ce qu’on aime ou faire ce qui permet de gagner de l’argent? Dans notre monde, les gens veulent gagner de l’argent. Moi, je fais ce que je veux. Je suis heureux, j’ai la pêche et je la distribue. Et j’ai la foi dans ce que je fais.»

Villars-sur-Glâne, Nuithonie, mercredi 31 mai, 18 h

Le sitar dépoussiéré

Lors de son séjour à Bénarès, en 2011, Alain Monod reçoit un CD de la part de son gourou, Rabindra Goswami. «Un disque du Jimi Hendrix du sitar, avec un son pourri. Ça sifflait de partout, mais ça
m’a tout de suite plu.» De «jeune dieu» – après plus de vingt-cinq ans passés au sein de The Young Gods – le Fribourgeois gagne le surnom de Mahadev Cometo, le «grand dieu» lorsqu’on parle de Shiva. D’ailleurs, son râga est un hommage à Shiva, «celui qui a sauvé les autres dieux, celui qui détruit le mal pour faire place au renouveau. Tout ce qui m’est arrivé récemment va dans ce sens: le divorce avec ma famille, le divorce avec mes potes du groupe. Tout ce qui n’est pas bon pour moi est anéanti.»

Sur Freedom, son premier disque de sitar (et le cinquième si l’on compte ceux d’Al Comet), Mahadev Cometo respecte plus ou moins le protocole sacré des râgas. Son Raag Shivaranjani Super Mishra se décompose en quatre thèmes. Il s’explique: «Le premier harmonise les parties déconnectées et dissonantes. Le deuxième leur donne l’unité d’un tout. Le troisième en fait un ensemble unique qui précède les parties. Et le quatrième revient au premier, à la fois quintessence et tout.»

«Cette première partie peut s’étirer sur quarante minutes avec un grand maître. Moi, je ne suis pas un grand maître, alors elle dure sept minutes»

D’abord le Alap, sorte de mise en condition, qui ouvre le vinyle sur des bruits de rue. «Cette première partie peut s’étirer sur quarante minutes avec un grand maître. Moi, je ne suis pas un grand maître, alors elle dure sept minutes», sourit Alain Monod. Puis arrive Masitkhani gat et Razakhani gat, où le musicien incorpore peu à peu ses sonorités électroniques, avec l’aide de Vincent Haenni, le quatrième Young Gods de la période acoustique. Enfin, le râga s’achève avec Jhala, symbiose des mondes traditionnels indiens et de l’électro contemporaine. En six ans, Alain Monod a réussi son pari: apprendre le sitar, mais surtout fusionner cet instrument traditionnel oriental dans son propre univers électronique. La grande classe.

Mahadev Cometo
Freedom
www.mahadev-cometo.com

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