Le monde change, Gorillaz reste en avance sur son temps

En pause depuis cinq ans, Gorillaz fait un retour tonitruant dans le paysage numérique. Les temps ont changé depuis 2001, mais le groupe virtuel de Damon Albarn réussit toujours à être en avance…

par Christophe Dutoit

Depuis quelques jours, Gorillaz est partout. En concert ultraprivé à Londres, mais diffusé largement sur les réseaux sociaux. Sur une app gratuite en forme de jeu qui permet un voyage dans la pseudo sacro-sainte maison du groupe. Via une house party planétaire bien réelle qui a réuni, le week-end dernier, les fans du groupe dans 500 endroits à travers le monde, dont les Grand-Places à Fribourg. Tout ça alors que le cinquième album du groupe ne sort que vendredi, mais que ses vingt titres ont déjà largement fuité sur la toile. De quoi rendre addictifs les esprits les plus réceptifs à cet univers où la réalité est vraiment augmentée.

Vingt ans après les premiers soubresauts du projet parallèle de Damon Albarn et Jamie Hewlett (lire ci-dessous), Gorillaz fait à nouveau sensation dans le monde digitalisé. Et encore, ce n’est pas tout: il paraît que la «franchise» aura bientôt sa propre série télé de dix épisodes…

Gorillaz perform their new Album; Humanz live at the Print Works in London on Friday 24 March 2017.
Photo by Mark Allan

En pause musicale depuis que Damon Albarn a reformé Blur le temps d’un album et d’une tournée mondiale, Gorillaz reste en avance sur son temps et profite à fond des plus récentes avancées technologiques. Avec, toujours, cette distance ironique dispensée à travers les quatre héros virtuels, 2D, Murdoc, Noodle et Russel, auxquels s’identifient les fans les plus hardcore.

Musique à 180 degrés
Sur le plan musical, Humanz prendra certainement les habitués à contre-pied. Très dance et hip-hop sur la longueur, Gorillaz produit une musique à 180 degrés, avec des touches de reggae, de soul, de rap, de house. C’est là sans doute la plus grande différence avec les albums précédents. Alors que Damon Albarn aimantait jadis ses multiples collaborations vers sa musique, il fait au contraire le pas en direction de ses invités. Comme si Gorillaz se fondait dans les univers de Vince Staples, de Peven Everett ou de Jehnny Beth, qui chante bientôt plus souvent sur les disques des autres que pour son propre groupe Savages.

Pour ce disque, Albarn leur a tous posé cette question: «Imaginez une nuit où tout ce que vous croyiez serait complètement chamboulé? Comme vous sentiriez-vous?» Bien avant l’élection de Donald Trump, l’écriture à plusieurs mains des chansons de Humanz a pris un tour prophétique et nettement plus politique que prévu.

Autre constat: en quelques années, la musique de Gorillaz a perdu son groove organique. Sans parler de quelques abus de vocodeur (Satunz barz notamment), le groupe est certainement devenu une machine trop grosse pour demeurer intéressante d’un point de vue strictement musical. Même les personnages imaginés par Jamie Hewlett se sont désormais débarrassés de leurs deux dimensions si charmantes pour épouser une troisième si à la mode. Evidemment, tous ces compromis font perdre à l’ensemble sa spontanéité.

Le monde évolue et Damon Albarn semble désormais faire l’unanimité autour de lui. Après Jean-Michel Jarre, même Noel Gallagher vient de se produire sur scène à ses côtés! Un joli clin d’œil à l’histoire, pour qui se souvient de la rivalité – copieusement entretenue par la presse britannique – entre Oasis et Blur, au milieu des années nonante.

Mais le chanteur semble au-dessus de tout ce bazar. Insatiable compositeur, il planche déjà sur le second album de The Good, The Bad & The Queen (avec Paul Simonon, Simon Tong et Tony Allen), dix ans après un premier opus d’une classe à part…

Gorillaz
Humanz
Warner

Gorillaz en trois albums clés

Gorillaz (2001)

En 1997, Damon Albarn est au faîte de sa gloire comme chanteur de Blur et Jamie Hewlett s’est fait un nom comme dessinateur de la BD Tank Girl. Tous deux deviennent colocataires et imaginent de toutes pièces un groupe virtuel à force de trop regarder MTV et des films de série Z (pour zombies). Derrière les quatre personnages de Gorillaz se cache un concept bien réel. D’un côté, Hewlett crée un univers postmanga en phase avec l’avènement numérique du tournant de l’an 2000. De l’autre, Albarn multiplie les collaborations musicales tous azimuts pour signer une poignée de tubes qui font vendre leur premier album à plus de 7 millions d’exemplaires. Sans vraiment savoir qui se cache derrière le groupe, le public danse sur Clint Eastwood, titre chaloupé et accrocheur qui mêle un refrain lancinant chanté par Albarn et le flow du rappeur Del the Funky Homosapien. Avec ses bruitages très jeux vidéo, 19-2000 fait mouche, et pas seulement auprès des geeks.

Demon days (2005)
Le succès est fulgurant. En 2002, Gorillaz joue aux Brit Awards sous la forme d’animations 3D sur un écran géant. Les clips du groupe sont de véritables courts métrages et certains pensent même réaliser un film autour de ces personnages. Trois ans plus tard, le deuxième album – Demon days – entre dans les charts anglais directement à la première place. Le single Feel good Inc. réunit tous les suffrages. Une fois encore, Damon Albarn collabore avec la crème, Neneh Cherry, De La Soul, Ike Turner ou Shaun Ryder. Le groupe donne une série de concerts à Manchester, toujours sans Hewlett, mais avec une poignée de bêtes de scène. En parallèle, Gorillaz publie une autobiographie illustrée (Rise of the ogre) et un pseudo-documentaire sur ses premières années (Bananaz). Pas lassés de collaborer, Albarn et Hewlett travaillent encore ensemble sur l’opéra pop Monkey, journey to the west, joué à Manchester, Paris et Berlin.

Plastic beach (2010)
Gorillaz entame l’année 2010 avec un concert en tête d’affiche au Coachella Festival, quelques semaines après la sortie du troisième album Plastic beach. Le groupe prend une nouvelle dimension avec des collaborations de plus en plus prestigieuses et plutôt très réussies avec Snoop Dogg, Mos Def, Bobby Womack, Lou Reed (l’excellent Some kind of nature) ou encore deux anciens membres de The Clash, Mick Jones et Paul Simonon, qui montent régulièrement sur scène avec Damon Albarn. Dépassé par ses avatars, Gorillaz est devenu un groupe – un peu – comme les autres, une machine imparable en concert et un concept marketing qui fonctionne plutôt bien. Jamais fatigué, Albarn profite du temps libre durant la tournée pour composer et enregistrer en un mois (!) un nouvel album, entièrement sur son iPad (quelques semaines après avoir signé un contrat avec Microsoft). Offert aux fans le jour de Noël, The fall marque la fin d’un cycle et le retour d’Albarn à Blur, ses premières amours.

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