Claude Haymoz: «J’aime faire de la photo»

Photographe emblématique de La Gruyère depuis 2001, Claude Haymoz prend sa retraite cette fin de semaine. Depuis plus de quarante ans, il pose un regard décalé sur la région et ses paysages urbains ou sauvages, des beautés que lui seul voit… et prend plaisir à montrer.

par Christophe Dutoit

Autant le dire tout de suite, Claude Haymoz n’est pas un bavard. Pour lui, la parole est d’or et… le silence n’a pas de prix. Surtout celui qui berce la Breccaschlund, là où lui et son épouse Jacqueline trouvent le ressourcement à l’écart de la folle actualité. Photographe à La Gruyère depuis 2001, connu comme le loup blanc sur tout le territoire du trihebdomadaire, il prend sa retraite cette fin de semaine.

Claude Haymoz tombe dans la photographie à la fin de son apprentissage de dessinateur en génie civil, au début des années septante. «Tout d’un coup. Je ne sais pas pourquoi.» Il se souvient d’un copain qui apportait des bouquins photos au bureau. Très vite la photographie le hante. «C’est une maladie. C’est pathologique. A chaque fois que j’en ai le moyen, je pars faire de la photo.» Dans sa maison familiale à Hauteville, l’homme s’apprête à allumer le four à pain pour y cuire une pizza dont Jacqueline a le secret. Il s’excuse presque. «J’ai mis dix ans à apprendre à ne pas faire une bonne photo par hasard. J’essayais sans cesse de la reproduire. A force, eh ben voilà, je suis devenu photographe.»

En 1977, lorsque le jeune marié dessine sa future maison, il n’oublie pas d’y prévoir un laboratoire. «A l’époque, je faisais pas mal de noir et blanc. Mais aussi des dias. En photo couleur, les couleurs sont là, tu les vois. Tout se décide à la prise de vue. En noir et blanc, tu peux travailler le contraste, la lumière. Tu faisais ce que tu voulais.»

A côté de son travail chez Leva, près du pont de Corbières, Claude Haymoz poursuit sa quête photographique. «En amateur, précise-t-il derrière
sa barbe poivre et sel et son sourire jovial. J’avais de l’intérêt pour des sujets éclectiques, aussi bien la ville que la campagne. Je suis timide, donc je ne m’approchais pas des gens. Mais je les intégrais dans mes photos. Pour la touche humaine.»

A la fin des années septante, Claude Haymoz fréquente le Photo Club de la Gruyère. «La technique, je l’ai apprise tout seul, dans les bouquins. Mais il y a beaucoup de bêtises. Alors, j’ai suivi un cours Migros, pour la prise de vue de base.» A l’âge de 30 ans, il franchit un cap et passe au format carré avec son Mamiya C330 à deux objectifs. Une découverte.

«Tout ça ne sert à rien»
A cette époque, Claude Haymoz fait de la photo le soir, en rentrant du travail. Ou tôt le matin, avant d’y aller. Le week-end, il vise Berne, Genève, Yverdon. «Je marchais et je faisais des photos.» Que demander de mieux? «Certains copains me disaient: “Haymoz, tu fais quoi avec tes photos?” Je sais que tout ça ne sert à rien. Au mieux, à avoir de l’expérience pour plus tard.»

Il aime faire de la photo. Au sens de fabriquer, comme un boulanger fait du pain. Et de la photo. Pas «des» photos. Non, de la photo…

Pour l’avoir longtemps vu travailler comme collègue, Claude Haymoz est un animal à part: un œil de lynx, discret derrière ses lunettes de soleil, mais qui voit tout, rapide et agile comme un félin, capable de se retrouver à plat ventre sur le goudron pour trouver le meilleur angle de vue. Par-dessus tout, il aime le moment de la prise de vue, ce laps de temps durant lequel il se sent en phase avec le réel: un reflet dans une vitre, un jeu d’ombres, des lignes de fuite, des lapins que lui seul voit dans la nature (La Gruyère du 15 avril). Il aime faire de la photo. Au sens de fabriquer, comme un boulanger fait du pain. Et de la photo. Pas «des» photos. Non, de la photo…

«C’est son équilibre»
«Pour lui, la famille est toujours passée avant, affirme son épouse Jacqueline, qui écoute la conversation d’une oreille. Mais, pour Claudy, la photo, c’est son équilibre. Il aime être dehors.» Alors, elle l’accompagne.

Il reprend. «Je ne comprends pas pourquoi j’en ai fait mon métier. Je suis timide, je suis renfermé, je suis solitaire, les gens me font peur. Un photographe professionnel doit aller vers les gens. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ce métier…»

Et, pourtant, le 31 mai 1999, sa décision est prise. Il écrit à 2 heures du matin sa lettre de démission de chez Leva. «Je pensais devenir indépendant. Mais je ne suis pas assez vendeur. Il faut aimer discuter avec les gens.»

Dix ans plus tôt, Claude Haymoz s’était déjà dit: «Ça ne me ferait rien de faire des photos pour La Gruyère.» Il prépare un dossier, mais – sacré gaillard! – juge sa qualité insuffisante… Puis, en 1997, il contacte Patrice Borcard, alors rédacteur en chef, qui publie ses premières images dans les pages mortuaires, puis quelques «instants apprivoisés», ces clins d’œil décalés, qui servent autant de bouchons que d’espaces de liberté à conquérir dans le journal.

J’ai fait une quantité de films avec des gens dans la cave. Quand Patrice a vu les images, il m’a dit: “Mais on ne voit pas du tout de raisin!” Qu’est-ce que j’ai transpiré!

Vient alors l’heure du premier vrai reportage mandaté par la rédaction. «C’était au Domaine des Faverges. Tu étais stressé», répond à sa place Jacqueline, avec son sourire malin. «J’ai fait une quantité de films avec des gens dans la cave. Quand Patrice a vu les images, il m’a dit: “Mais on ne voit pas du tout de raisin!” Qu’est-ce que j’ai transpiré!» Il collabore au coup par coup, à la pige. Puis il est engagé en 2001 comme salarié et reprend le témoin de Jean-Roland Seydoux, la figure tutélaire du journal depuis les années soixante. «J’ai eu du bol. Ce n’est pas un euphémisme de dire que c’était un miracle.»

L’époque n’est pas si lointaine, mais la pratique semble préhistorique. «On exposait encore des films et on tirait les images sous l’agrandisseur. Il ne fallait pas dépasser la contenance d’une cuve, sinon, on était bon pour un deuxième développement. J’ai bien aimé cette période.» Il évite de justesse des catastrophes lorsque, dans le stress d’un bouclage, il ne remarque pas que deux pellicules se sont collées entre elles au séchage. A plus d’une reprise, Jacqueline fait la navette entre la maison et la rédaction pour livrer les épreuves, pendant que lui continue de tirer les images pour le lendemain.

Coolpix en délire
A La Gruyère, la révolution numérique est en route au tournant des années 2000. Les photographes commencent à scanner leurs films, puis à utiliser leur premier appareil numérique, le fameux Coolpix en délire. «J’avais des craintes, au début, car j’aimais bien notre manière de faire du noir et blanc. Puis, je n’ai plus eu envie de revenir en arrière.»

Davantage que la transition vers le numérique, c’est le passage à la couleur qui change sa perception. En 2004, il développe sa dernière bobine noir et blanc. «Je regrette la qualité des tirages, les papiers barytés, les virages au sélénium. Mais je n’ai jamais vraiment aimé le labo, surtout quand il faisait beau dehors. Finalement, j’étais bien content d’arrêter. Tous ces produits chimiques qu’on jetait à l’égout… Ça m’a un peu manqué. Mais on s’est quand même simplifié la vie.»

La vie de reporter à La Gruyère lui offre quelques belles rencontres à son livre d’or. Peter Ustinov en 2002, Roger Federer en 2004 à Gstaad, François-Xavier Demaison, dans les coulisses de CO2 en 2009. «Je me suis retrouvé seul avec lui derrière les rideaux, cinq minutes avant d’entrer sur scène. Il était supersympa. Mais il n’y avait pas de lumière… Je l’ai pris en silhouette.»

Le CO2 confronte Claude Haymoz à ses principaux démons: les humains. Et pas forcément les plus agréables, surtout en version stars. «On faisait des photos dans les loges. Eric Cantona posait au pied de l’escalier. J’avais mon grand-angle et je lui ai demandé de croiser les bras. Il m’a regardé et m’a dit: “Non.” J’ai répondu: “C’est vrai que ça va aller comme ça.” J’ai fait la photo et j’ai dit au revoir…»

Ce genre d’anecdotes, Claude Haymoz n’en manque pas, même s’il ne les raconte pas forcément à la cantonade. Comme lorsqu’il est envoyé au Salon de l’agriculture à Paris et qu’il se perd en pleine nuit sur le chemin de son hôtel, éloigné de 500 mètres. «Qu’est-ce qu’on a rigolé ce soir-là! C’était mémorable.»

Avant, on avait davantage de marge pour publier des photos décalées. Aujourd’hui, on doit plus coller au sujet.

Il évoque aussi des moins bons souvenirs, des portraits loupés, d’autres images qu’il voit, mais qu’il est incapable de restituer. Surtout, il reçoit beaucoup d’échos sur ses images. «Les gens apprécient les plus artistiques. Avant, on avait davantage de marge pour publier des photos décalées. Aujourd’hui, on doit plus coller au sujet.»

Arrière-grand-père à 62 ans
Durant l’été 2016, le déclic se produit. «Je couvrais le match de Coupe suisse Romont-Sion. Comme je n’étais pas accrédité, j’ai dû payer mon entrée. Et on m’a demandé ma carte AVS. Je me suis dit que c’était le moment de prendre ma retraite.» A 62 ans. Alors qu’il vient tout juste d’être arrière-grand-père. Il sera alors enfin temps de mettre en valeur ses milliers d’images «entassées» depuis quarante ans. Peut-être au travers d’un livre et d’une exposition. L’homme n’en dira pas davantage.

Tout taiseux qu’il est, Claude Haymoz vient de tenir le crachoir au-delà de minuit… Demain, il enfilera ses souliers de montagne, il prendra son Canon et il photographiera. A la Brecca ou dans la région de Dole, en Franche-Comté voisine, où le couple de contemplatifs aime à musarder. Pourquoi? «Pour rien…»

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