Pierre Voélin, la poésie pour donner un sens au monde

Le poète Pierre Voélin réunit en un volume des recueils parus de 1984 à 1986. Ainsi qu’une suite de proses inédites qui évoque son enfance dans la campagne jurassienne. Rencontre.

© Mario Camelo

Par Eric Bulliard
Quartier du Bourg, à Fribourg, un appartement tout de sobre élégance. Pierre Voélin accueille avec le sourire, la poignée de main chaleureuse. Un ami photographe et poète prend congé, avec sous le bras un livre d’Umberto Saba: son hôte lui conseille le passage où l’écrivain italien affirme qu’un poète «est un enfant qui s’étonne des choses qui lui arrivent, une fois qu’il est devenu adulte».

L’enfance et la poésie, on les retrouve dans les deux livres que publie Pierre Voélin, chez Fata Morgana. Sur la mort brève réunit des recueils de poèmes, parus en 1984 et 1986. De l’enfance éperdue, inédit, présente une suite de proses de la même époque: «Je les ai écrites en 1985 – 1986, pour que mes trois filles (j’ai eu plus tard encore un fils) sachent quelque chose de l’enfance de leur père.» Le texte était resté dans un tiroir ou plutôt dans l’imposante armoire de la cuisine, où il range ses manuscrits.

Cette enfance, le futur poète la vit dans la campagne jurassienne, proche de la nature et du monde paysan, découvert grâce à une famille voisine. «Des gens merveilleux», se souvient-il. «J’étais très malheureux à l’école. J’aimais la vie au grand air.»

«L’enfant naît au partage du siècle – en silence, il grandit sous l’étoile curieuse», écrit Pierre Voélin. De sa plume affûtée, il décrit la ferme et ses gestes ancestraux, les foins, la boucherie, la récolte des betteraves sucrières, les vaches et les chevaux…

Rythme et précision
La langue frappe avec précision, sans effet inutile. C’est, par exemple, cet «œil du lézard net comme une épingle d’or», cette «peau fine à donner les frissons tirée sur le bol de chocolat, elle se plisse sous le souffle…» Le rythme est aussi particulièrement soigné, qu’il soit coulant ou heurté: «A chaque coup de gueule du fermier le Temps sue des gouttes, aussitôt s’éponge, une minute.»

En Suisse romande, qui dit poésie et campagne perdue dit forcément Gustave Roud. Pierre Voélin l’a lu, évidemment, et admiré, même si Nicolas Bouvier ou Charles-Albert Cingria ont davantage compté dans son parcours. Mais il pointe surtout les différences: «Chez Roud, il y a un adieu romantique à une nature qui a une grandeur, une solennité. Chez moi, il y a un rapport panique au monde, qui m’arrive dessus sans que je puisse faire un geste. Il y a une intensité, une urgence…»

Dachau, la douleur
Dans cette enfance, une rupture, qui allait marquer aussi bien l’homme que le poète. A 12 ans, Pierre Voélin visite le camp de Dachau en compagnie de son grand-père, ancien résistant. «C’est devenu ma problématique intellectuelle, pendant que les gens déliraient sur le maoïsme. J’aurais pu devenir historien, mais je pense que le regard aurait été trop froid, par rapport à ce qui m’habitait.» Les échos traversent Sur la mort brève, le livre qui réunit également La nuit osseuse, Lents passages de l’ombre et Lierres. «Pour moi, ce recueil est d’une portée plus importante que De l’enfance éperdue.»

Cette œuvre naît ainsi d’une méditation sur le génocide. «Il faut nommer la soif et la faim / tenir sur ses lèvres / comme un mouchoir de neige», écrit-il dans Lierres. Il y a la douleur, le froid, les cris, «les jeux de sang du siècle» dans cette poésie âpre, profonde, d’une puissance impressionnante.

Une poésie ancrée dans le réel, «où il n’y a pas de gras, mais de l’os, de la structure», souligne Pierre Voélin. A l’image de ces vers denses, intenses: ««Le bois de hêtres. Les plaines à n’en plus finir. / La poudre des os. Les plaies. / Rien, cela, ce froid qui accompagnait toute parole.» Ces poèmes écrits il y a plus de trente ans, Pierre Voélin les ressort tels quels. «Ce n’est plus moi, je ne pourrais pas m’y replonger pour les retravailler. C’est la méditation de mes 30 ans. Aujourd’hui, j’en ai 68…»

Merveilleux Paul Castella
Depuis toujours, Pierre Voélin refuse les étiquettes qui le réduiraient à un poète romand, jurassien ou fribourgeois. Il se préfère poète de l’est de la France. «Ma famille vient des deux côtés de la frontière, je suis suisse par inadvertance…» Son univers, c’est la Franche-Comté, le Doubs et il rappelle volontiers à quel point son enfance était tournée vers la France. «Je suis allé à Paris avant d’aller à Lausanne ou Genève.»

Paul Castella était un homme merveilleux. Il disait: “Un livre, c’est pour l’éternité.”

De toute manière, le plus important reste d’«amener une pierre à la littérature française». Oui, française et non pas romande, «qui n’existe pas en tant que telle». Dans ce parcours, la poésie de René Char s’est révélée décisive. «Et pas seulement parce que j’ai écrit un mémoire de licence sur Les Feuillets d’Hypnos. De 18 à 22 ans, il a été comme un père de substitution.» Après, il y a eu Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Pierre Chappuis… Sans oublier le Fribourgeois Frédéric Wandelère, son contemporain. Ensemble, ils ont fondé les Editions Le feu de nuict, où a paru Lierres, en 1984.

Puisque l’on parle de rencontres essentielles, Pierre Voélin évoque aussi Jean Roudaut, professeur à l’Université de Fribourg de 1972 à 1991. Et Paul Castella, l’éditeur d’Albeuve, si raffiné, qui publie Sur la mort brève suivi de La nuit osseuse en 1984 et Lents passages de l’ombre, deux ans plus tard. «Un homme merveilleux. Il disait: “Un livre, c’est pour l’éternité.”»

C’est intéressant d’être traité de la même manière qu’un poète hongrois, russe ou américain

Jusqu’à New York
Des «livres pour l’éternité», Pierre Voélin en publiera d’autres. Désormais, il a plus de temps à consacrer à l’écriture: en 2012, après trente-six ans d’enseignement, il a quitté le Collège Sainte-Croix. «J’ai beaucoup aimé ce métier, mais j’ai maintenant autre chose à faire.»

L’avenir, c’est aussi une anthologie à paraître à New York. Eminent traducteur de Philippe  Jaccottet, Jacques Dupin ou encore Pierre Chappuis, John Taylor se chargera de la version anglaise des poèmes de Pierre Voélin. Le livre sortira chez le prestigieux éditeur de poésie Bitter-Oleander Press.

«C’est intéressant d’être traité de la même manière qu’un poète hongrois, russe ou américain.» Où l’on revient à l’idée d’une poésie sans frontière. De cette parole humaine poussée au plus haut, avec «l’idée de donner du sens au monde et pas seulement de le subir».
Pierre Voélin, De l’enfance éperdue et Sur la mort brève, Fata Morgana, 88 et 120 pages   

Posté le par Eric dans Littérature, Livres Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire