Albin de la Simone, l’élégance dans le sourire

Musicien et arrangeur français réputé, Albin de la Simone est aussi auteur-compositeur-interprète d’une rare élégance. Confirmation avec L’un de nous, un cinquième album tendre et gracieux, discrètement inventif. Rencontre.

©Yann Rabanier

Par Eric Bulliard

Bungalow (2008) est né lors d’un séjour à Bali, Un homme (2013) en résidence au centre culturel Le 104, à Paris, celui-ci a été écrit en voyage: est-ce une volonté de changer de méthode à chaque fois?
Ça vient comme ça se présente. Je n’arrive pas à écrire en tournée et chez moi, avec mon quotidien très chargé, je ne trouve pas l’accès à mon intimité. J’essaie donc de m’organiser des voyages solitaires, où je peux travailler jusqu’à 3 h du matin, libre et concentré sur l’écriture.

En travaillant avec Miossec, j’ai découvert la région de Brest et j’ai loué une maison là-bas, une semaine. Après, je suis allé une semaine à Barcelone. Je me souviens d’avoir marché dans la ville, du matin au soir, en remplissant des carnets, mais je n’ai rien gardé… C’est farouche, pour moi, l’inspiration. Elle s’en va vite et quand je l’ai, il faut que je lui donne de petits morceaux à manger. Après, la musique me vient plus facilement, parce que je suis musicien depuis toujours, alors que je suis auteur depuis l’âge de 30 ans.

Si c’est aussi farouche, n’auriez-vous pas la tentation de faire appel à un parolier?
Non: je suis chanteur parce que je suis auteur. Ce qui m’est venu, c’est le besoin de m’exprimer par les mots en plus de la musique. A 30 ans, j’ai découvert que la chanson était le bon médium pour moi, après avoir essayé le jazz contemporain et toutes sortes de choses bizarres, après avoir accompagné des chanteurs. Aucun intérêt de faire appel à un auteur, parce que je ne me sens pas interprète. Si je n’écris pas, je n’ai pas de raison de chanter.

©Frank Loriou

Vous avez commencé par enregistrer les chansons en deux jours, piano-voix: était-ce par défi?
Aujourd’hui, pour un disque, il est systématique d’enregistrer la voix avec une guitare ou un piano, puis de faire les arrangements. Finalement, on refait les voix au propre, en fonction des arrangements. Pendant tout ce temps, le chanteur a l’angoisse de devoir bien chanter, à la fin. J’ai voulu commencer par le piano et les voix, mais en sachant que je faisais le piano définitif et les voix définitives.

Je n’ai pas du tout envie d’un disque piano-voix, mais je les enregistre d’abord. Tout ce que j’ajoute (cordes, batterie, percussions…) devra respecter ces voix et non pas l’inverse. Ça m’a vraiment aidé, moi qui ne suis pas un chanteur tout-terrain: j’ai pu chanter exactement comme j’avais envie, au lieu d’être contraint par les arrangements.

Vos chansons parlent de thèmes éternels, comme le temps qui passe, l’amour…
Je ne me demande pas de quoi je vais parler. Quand j’écris, je jette tout, tout le temps. Sauf quelquefois où je me dis «tiens, ça, c’est pas mal» et, par miracle, après, je trouve une deuxième phrase, puis je travaille beaucoup pour en trouver une troisième… J’avance comme ça, de façon laborieuse et bizarre.

A la fin, j’ai seize chansons, j’en garde douze qui ont une thématique commune et c’est mon obsession du moment. Sur l’album précédent, je venais d’avoir un enfant, je construisais ma maison, donc j’étais dans des préoccupations du style: où est-ce que je mets les pieds? Aujourd’hui, je suis dans les questionnements sur l’amour quand il n’est plus à ses débuts, mais sur le long terme.

Vous pratiquez volontiers par ellipses, par allusions: est-ce par pudeur, puisqu’il s’agit de préoccupations personnelles?
C’est plutôt par envie de ne pas trop fermer les sens. Une photo hypernette où tout est bien à sa place m’intéresse moins que celle où l’on se demande s’il s’agit d’une main ou d’une branche. L’idée, c’est de poser certaines choses, puis de laisser le public tricoter une interprétation différente, s’il le veut. Notamment dans des chansons un peu dures, comme Les chiens sans langue: on comprend que c’est lourd, moi, je sais de quoi je parle, mais on n’est pas obligé de le percevoir et on n’est pas obligé de souffrir en l’écoutant.

Votre vocabulaire parcourt un large spectre, de «licorne rose» (Midi) à «vagin» et «anus à coulisse» (L’un de nous)
Pour «licorne rose», j’ai une fille de cinq ans, donc les licornes et les fées sont dans mon champ lexical en ce moment. C’est moins le cas pour «anus à coulisse»! Cette chanson est plus ancienne. Je me suis amusé de l’incompréhension dans un couple, de la mauvaise foi. On a toujours envie qu’il y ait un coupable quand un couple se met à déconner.

Dans la chanson, il y en a un qui voit l’autre en train de faire des trucs abracadabrants et dire que c’est elle qui ne va pas, alors que le narrateur est bien plus givré. C’était l’occasion de faire une chanson un peu marrante, étrange, parce que j’aime ça.

C’est une question de tempérament: je ne peux pas imaginer quelque chose de 100% noir. J’ai toujours besoin d’y mettre un sourire, un truc qui dédramatise

Ce ton mélancolique, contrebalancé par un grain de folie ou une ironie, fait partie de vos marques de fabrique…
C’est une question de tempérament: je ne peux pas imaginer quelque chose de 100% noir. J’ai toujours besoin d’y mettre un sourire, un truc qui dédramatise. L’album Bungalow, par exemple, m’agace un peu parce qu’il est trop chargé en déconnade. Il faut un dosage. Sur scène aussi: un chanteur qui passe son temps à faire des blagues, au bout d’un moment, tu as envie de lui dire: «Ferme ta gueule et chante!» J’ai voulu mettre les choses vraiment sur la table, mais je ne peux pas m’empêcher de jouer sur les sens, les sonorités…

L’album contient un duo avec Sabina Sciubba et on entend les voix d’Emiliana Torrini, de Vanessa Paradis. Depuis vos débuts, vous avez travaillé avec de nombreux artistes, de Souchon à Iggy Pop: la musique, c’est une histoire d’amitié plus qu’un travail solitaire?
Je suis un auteur-compositeur-interprète solitaire qui profite des gens inspirants qu’il rencontre et qui, à la fin, demande à des copains de venir. J’ai appris la musique en groupe et j’ai besoin de la musique vivante. J’adore la chanson, mais je ne pourrais pas uniquement en faire douze tous les quatre ans. Je ne suis pas formaté pour ça. Heureusement, j’ai plein d’autres expériences musicales, plein de projets, de performances, pour assouvir mon appétit de rock, de musique africaine… C’est ma nourriture personnelle.

Albin de la Simone, L’un de nous, Tôt ou tard

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire