Cali: avec cette envie de pureté

Moins de deux ans après L’Age d’or, Cali vient de sortir Les choses défendues. Un album plein d’envie de vivre, intense et enthousiasmant, qui bénéficie des arrangements toujours aussi classes d’Edith Fambuena. Rencontre.


Par Eric Bulliard

Le disque sort une année et demie après L’Age d’or, avec 14 titres: pourquoi cette urgence?
Quatorze titres, mais il y en a 40 qui ont été écrits… Ma maison de disques m’a dit que stratégiquement ce n’était pas une bonne idée, mais j’écris des chansons comme des polaroïds: je raconte ma vie, et donc, dans deux ans, j’aurai d’autres choses à raconter. En plus, écrire une chanson m’aide à vivre… Comme tout le monde, je veux me faire du bien. Si j’avais attendu, ça aurait été mieux commercialement, mais ce n’aurait pas été moi: ça aurait été moi quelque temps après!

Si vous écrivez autant de chansons, on pourrait imaginer que vous les sortiez sur le net: en quoi l’objet disque est-il encore important?
On pourrait, oui… Mais si j’aime la musique, c’est parce que je suis amoureux de chansons, de chanteurs qui m’ont sauvé la vie. Et j’étais fou du mystère de la musique: dans mon petit village, je lisais des papiers sur Springsteen, sur Dylan, sur U2, sur les Waterboys et je fantasmais là-dessus. En 1987, je suis mandaté par mes potes pour aller chercher l’album Joshua Tree de U2 chez le disquaire, à une heure de là… Je fais du stop à 7 h du matin, je suis le premier chez le disquaire, je mets le disque sous mon pull, je refais du stop, tout le monde m’attend sur la place, on va à la maison, on le met sur la platine et on écoute… Aujourd’hui, ça n’existe plus, mais, pour moi, l’objet disque, c’est ça. Et j’ai l’impression qu’avec les histoires de streaming, non seulement on tue les chanteurs et les artistes, mais on éteint aussi toutes ces petites magies.

Même si On ne se lâchera pas la main ne figure pas sur l’album (lire ci-dessous), on y entend quelques échos post-attentats, en particulier dans Tout va recommencer

J’aime bien que les choses arrivent sans être préméditées… Pour cette chanson, je n’ai pas pensé aux attentats, au début. Je voyais ce couple assis à une table et, je ne sais pas pourquoi, moi qui ne suis pas parisien, je l’ai situé à Paris. Ils font une pause et l’homme dit: «On va se remettre ensemble, ça va aller, tout va recommencer…» C’est à la deuxième lecture que je me suis aperçu que c’était post-attentats et que j’avais donc encore besoin d’écrire là-dessus: ce n’est pas notre amour, mais la vie qui va recommencer. J’ai donc posé définitivement le sens de la chanson après.

L’Age d’or était réalisé par David-François Moreau, Vernet-les-Bains par Frédéric Lo, celui-ci par Edith Fambuena: vous mettez un soin particulier à choisir un réalisateur…
Oui, depuis le début. C’est une histoire d’amour, ça fait partie du voyage et j’ai envie que les gens le ressentent. Un disque, ce n’est pas juste des chansons qu’on met en boîte: à partir du moment où elles sont écrites, il s’agit de trouver le prince ou la princesse qui sera le plus à même de les magnifier. Tout le travail d’Edith me touche. Quand on s’est retrouvé tous les deux dans son laboratoire pour travailler sur les musiques que je lui ai données, j’ai compris que je n’avais pas encore perdu la foi. Nous sommes de la même génération, nous avons écouté les mêmes choses et elle me balançait ce qu’elle appelle des saloperies: «J’ai rajouté des petites saloperies, là…» Et c’est exactement ce qu’il fallait. Edith, c’est Fantômette, c’est la reine des fantômes: elle met plein de choses qu’on ne voit pas, mais qu’on sent.

Ce n’est pas de la nostalgie, un mot qui sent un peu la poussière, mais une petite méditation pour donner envie de continuer. C’est se retourner vers le passé et ces choses-là, non pas pour les regretter, mais pour garder la pureté et continuer à avancer avec le sourire.

Ces Choses défendues ont un côté retour à l’adolescence: faut-il y voir de la nostalgie, l’envie de retrouver cette énergie?
Ce n’est pas de la nostalgie, un mot qui sent un peu la poussière, mais une petite méditation pour donner envie de continuer. C’est se retourner vers le passé et ces choses-là, non pas pour les regretter, mais pour garder la pureté et continuer à avancer avec le sourire. En vieillissant, avec tout ce qui nous tombe dessus, on a le cœur qui enfle, qui n’est plus pur. Il y a une chanson qui s’appelle Seuls les enfants savent aimer et ça pourrait résumer tous mes disques. C’est le moment où on ne sait pas qu’on va mourir un jour ni que quelqu’un peut nous mentir. Pour me sentir mieux, j’ai besoin de retourner à cet âge-là.

Le disque aborde aussi des sujets graves, comme la disparition de votre maman (la chanson Annie Girardot) ou les femmes battues dans Elle a mal: comment trouver l’angle et le ton pour de tels thèmes?
Je ne me suis jamais interdit d’écrire quoi que ce soit, mais, à la relecture, il y a beaucoup de chansons que j’ai mises de côté en pensant qu’elles allaient trop loin. Pour Elle a mal, je me suis posé la question. Ma maison de disques ne la voulait pas, des proches m’ont dit que je devrais mettre de l’eau dans mon vin. Mais, pour un sujet pareil, c’est impossible. J’ai repensé à une dame que je connaissais rayonnante et qui, quand je l’ai revue quelque temps après, avait tout perdu, dans les yeux, dans le visage… J’ai su la tragédie qu’elle a vécue, cette vie de femme battue. Ça a dû rester au fond de moi, parce que j’ai écrit cette chanson des années après.

Parmi les moments très surprenants, il y a la façon de chanter sur Montréal, 4 AM

Pour cette chanson, j’étais chez moi au piano, c’était 2 h du matin, avec les bébés qui dormaient à côté et j’avais mon dictaphone. J’ai commencé à chanter doucement, pour ne pas les réveiller et quand j’ai écouté l’enregistrement, je me suis dit: «Ça fonctionne, cette voix, là-dessus!» Alors que ce n’est pas moi, ce n’est pas ma voix… J’ai fait écouter aux copains qui m’ont dit: «Ça marche à mort!» Je l’ai chanté comme ça, on a fait une prise et on l’a gardée. Il y a un côté Christophe, mais c’est un accident total. D’ailleurs Christophe m’a envoyé un message pour me souhaiter bonne chance pour la sortie du disque. Je me suis dit qu’il avait dû écouter cette chanson!

Comment se déroule la tournée solo?
Ça me plaît, parce que je ne suis pas un bon guitariste ni un bon pianiste, mais je me dis que moins par moins, ça fait plus! L’idée, c’était de désosser tout et de jouer les chansons à nu, un peu comme dans ma chambre quand je compose. Je propose aux gens les squelettes. Pour moi, c’est particulier, parce qu’il y a des chansons que je crie ou que je hurle depuis pas mal d’années, avec une rythmique forte derrière et là, j’ai par exemple une version de Elle m’a dit qui est très posé, avec une voix grave, à la Johnny Cash.

Il y a aussi beaucoup de chansons que personne n’a entendues, que je n’ai jamais utilisées. Je change tous les soirs, je fais des reprises, des lectures. C’est un espace de liberté plus grand qu’avec un groupe, où il faut se suivre, se respecter les uns les autres. Là, je peux ne rien respecter du tout et ne suivre que ma connerie!

C’est jouissif, je prends des moments de frisson intense, parfois j’oublie complètement où je suis et c’est comme si j’étais à la table de quelqu’un et que je prends ma guitare, que je raconte une anecdote. Il y a un côté intime: j’ai l’impression de chanter pour une personne et chacun a l’impression que je chante pour lui.

La chanson I want you renvoie à Dylan, l’intro d’Elle a mal évoque Springsteen, le titre du précédent album, L’Age d’or, reprenait Ferré: quel est le rôle de ces références plus ou moins directes?
C’est pour dire merci. Tout le monde va chercher des choses chez d’autres: pour Dylan, c’était Woody Guthrie, pour Springsteen, c’était Dylan ou Presley …  Je viens d’un petit village du sud de la France, si on m’a donné la chance de faire sept disques et d’aller sur la route, c’est grâce à eux et je le dis. J’étais très heureux du Prix Nobel de Dylan. Le gars a 75 ans, il a fait polémique toute sa vie, depuis toujours des gens se sont engueulés à cause de lui, et là, il ne dit pas un mot, et ils s’engueulent encore pour dire s’ils sont pour ou contre ce Nobel… C’est magnifique!

Cali, Les choses défendues, Sony Music. www.calimusic.fr

 

Cali sur la scène de CO2, le 19 novembre 2015 © Chloé Lambert

«Quelque chose s’est cassé»

Le 19 novembre 2015, Cali montait sur la scène de la salle CO2, à La Tour-de-Trême, six jours après les attentats de Paris. «Nous étions tous évidemment déchirés par ce qui s’était passé, se souvient-il. Il y a un truc qui s’est éteint. Même si on essaie de se donner le courage de dire que ça va aller, que ça va reprendre, les dates d’après les attentats ne sont plus les mêmes. Je suis toujours heureux d’être sur scène, mais quelque chose s’est cassé. Comme si le rêve de la vie s’était évanoui en une soirée.»

Ce soir-là, pour son premier concert après ce funeste 13 novembre, Cali débutait par une chanson bouleversante, On ne se lâchera pas la main. Un titre qui ne figure pas sur son nouveau disque: «Je ne l’ai jouée que deux fois, à Bulle et à Perpignan, la date qui suivait et qui était la dernière de la tournée. Après, j’ai déchiré le papier, pour dire “plus jamais ça”. C’était une chanson réaction, un besoin très profond, mais je voulais que ça soit éphémère. Comme beaucoup de gens, le lendemain des attentats, j’ai mis une bougie à la fenêtre et j’ai vu mon voisin faire pareil. On ne se connaissait pas plus que ça et c’était fou de se réunir dans ce moment de tragédie absolue.»

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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