Mickey, une souris de 90 ans devenue multitâche

Figure protéiforme de la culture populaire mondialisée, Mickey semblait avoir connu il y a longtemps les heures de gloire de ses aventures. Grave erreur, car Tébo et Loisel sont arrivés.


Par Romain Meyer

Mickey Mouse, un nom à la signification multiple. Pour beaucoup, la création de Walt Disney est un simple produit marketing que l’on trouve sur des T-shirts ou dans des parcs d’attraction, loin de toute création originale, loin de son histoire. Après avoir vécu dans des films d’animation ou des bandes dessinées, la petite souris n’est devenue qu’une forme, un logo. Pour d’autres, elle symbolise le caractère enfantin et niais du 9e art… Le salut imaginatif et séquentiel qui pourrait redonner un souffle de vie à cette coquille vide vient de l’Europe francophone, dans un effort conjoint de nostalgie créative.

En effet, carte blanche a été donnée à plusieurs auteurs pour dépoussiérer le mythe, pour se l’approprier et le réinventer. Après les deux volumes délicieusement rétro de Cosey et du duo Lewis Trondheim – Keramidas, la collection vient de s’enrichir de deux tomes magnifiques. Chacun parle des premières années de la souris, sans parler de la même chose.

Western et science-fiction
Tébo s’est attelé à réinventer les débuts de Mickey à travers un procédé narratif particulièrement productif. Né en 1928 dans le dessin animé Steamboat Willie, le personnage a vieilli, au point d’être grand-père aujourd’hui et complètement bigleux. Alors, lorsque son petit-fils Norbert vient lui rendre visite et pour lui faire lever les yeux de sa console de jeux, «Pépé» raconte ses aventures d’avant les rides.

Pour l’auteur de Captain Biceps, c’est l’occasion de visiter les différents genres abordés dans les récits de Mickey. On y retrouve l’influence des histoires de celui qui a véritablement donné son amplitude au personnage entre 1931 et 1975, Floyd Gottfredson. Western, science-fiction, guerre ou aventure abracadabrante: Mickey a été partout, a tout vu et a tout fait. Surtout, il botte systématiquement les fesses du méchant chat Pat Hibulaire. C’est en tout cas ce qu’il raconte à sa descendance. Et c’est peut-être vrai.

Cette Jeunesse de Mickey est une visite pétillante des premiers temps de l’univers Disney. Tébo s’est lâché dans une série de cinq histoires courtes jubilatoires, bourrées d’intelligence et d’humour. Le ton est libre, voire irrévérencieux, le dessin simple, efficace et en mouvement. Et puis, renouveler un personnage bientôt centenaire en parlant de sa jeunesse tout en le plaçant aux portes de l’hospice, il fallait oser.

Zombies sociaux
Régis Loisel, quant à lui, vient de sortir Café «Zombo». Une autre claque. Là aussi, on reparle des premiers temps de Mickey, mais réels ceux-là. L’auteur de La quête de l’oiseau du temps, Peter Pan et Magasin général a placé son aventure au début des années 1930, en pleine Grande Dépression. Le dessin se rapproche de ce qui se pratiquait à l’époque et ramène des personnages laissés de côté, comme le cheval Horace ou la vache Clarabelle. L’atmosphère est sombre et le récit s’inscrit dans un temps social spécifique. C’est le temps du chômage de masse, de la misère et des exploiteurs.

Un trait extrêmement dynamique et précis donne à ce tableau une profondeur qui va au-delà du simple travail de rendu sur des animaux anthropomorphisés. L’artiste français mêle critique sociale et univers fantastique, le second servant à imager le premier.

En effet, un banquier véreux et ses acolytes – Pat Hibulaire ou le revenant Chicaneau – réduisent les pauvres habitants en travailleurs «zombies» par le biais d’une substance spéciale, le café «Zombo». La métaphore est claire et l’album, fait de strips à l’italienne, tient toutes ses promesses.

Dans la tête de la souris
Si le Mickey de la BD renaît ici grâce à ces artistes, le personnage continue de porter plusieurs casquettes, qui n’ont pas toutes un lien avec la création, comme celles du soft power et de l’impérialisme made in USA. Là-bas, ses liens avec la pop culture sont évidents: il est un acteur de l’histoire du pays, à la fois création de papier et élément constitutif de son imaginaire social et culturel.

Avec Mickey Mouse, icône du rêve américain, l’historien Garry Apgar remet la souris au milieu du salon et propose un élément de compréhension précieux sur le créateur, le personnage, son histoire et sa place dans le monde de l’art. Une analyse en profondeur.

A 90 ans, Mickey méritait bien deux renaissances et un canapé.

Régis Loisel, Mickey Mouse, Café «Zombo»; Tebo, La jeunesse de Mickey; Garry Apgar, Mickey Mouse, icône du rêve américain, Glénat

 

Posté le par Eric dans BD Déposer votre commentaire

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