Yann Tiersen reconnecté à sa terre d’Ouessant

yann-tiersen-ouessantDébarrassé d’arrangements parfois superflus, Yann Tiersen joue enfin seul au piano et livre un disque aride et sublime sur son refuge breton.

par Christophe Dutoit

Yann Tiersen entretient depuis quarante ans une relation intense avec Ouessant, ce bout de terre située à une vingtaine de kilomètres au large de la Bretagne, au nord de la mer d’Iroise. Né à Brest en 1970, le garçon garde en mémoire une balade sur l’île avec son père. Il avait 6 ans. L’un des rares souvenirs avant sa mort… Plus encore, Ouessant lui a servi de refuge pour accompagner son spleen d’adolescent, puis de tanière pour écrire et enregistrer ses chansons, d’abord dans des pied-à-terre de location, puis dans son chez lui, depuis trois ans.

Car l’auteur de la Valse d’Amélie n’est pas vraiment un homme du monde. Il s’est ennuyé à Paris, il a fui toutes les mondanités qui s’ouvraient à son statut de musicien célèbre, il avoue avoir vécu comme dans une cave. Aux effervescences de la ville, il préfère l’aridité de la nature sauvage, si possible battue par les vents et les embruns.yann-tiersen-entre-abbey-road-et-ouessant

Source d’inspiration
Avec sa compagne Emilie Quinquis, Yann Tiersen vient de consacrer son dernier album à cette île d’Ouessant où le couple s’est désormais installé. Le musicien a ressenti le besoin de se reconnecter avec la terre de ses origines. Il y élève des moutons et s’est mis en tête d’apprendre le dialecte local. Surtout, Eusa (Ouessant en breton) est devenu sa principale source d’inspiration. Au début de l’année, Yann Tiersen a publié, sous la forme d’un livret de partitions et de photographies, dix compositions sur dix endroits choisis de l’île. Avec, chaque fois, les coordonnées géographiques de lieux-dits comme Pern, Roc’h ar Vugale, Penn ar Lann ou Kadoran. Entre chaque titre, il a composé un Hent (chemin ou voie, en breton), un interstice, un trait d’union musical.

Faire courir ses doigts
Pour la première fois de sa longue carrière, Yann Tiersen joue seul au piano. Enregistré dans le studio 1 d’Abbey Road à Londres, Eusa est dépourvu de tout artifice, de tous ces arrangements de cordes ou de synthés qui ont fait la griffe du Breton. Au contraire, ces seize plages s’affichent nues, comme autant de naïades échouées au pied des falaises de granit. Fait rare, Tiersen dépouille jusqu’à l’os ses compositions, lui qui avait plutôt tendance à les ampouler. Seuls quelques sons d’Ouessant, des cris de cormorans, des clapotis de vagues ou des poèmes récités par son épouse, dessinent des contrepoints à son jeu reconnaissable entre tous.

Que les fans de Tiersen se rassurent! Le musicien n’a pas perdu l’ivresse de son écriture, ni ses incessantes répétitions rythmiques de la main gauche ni ses mélodies qui sourdrent d’évidences. Car le Breton n’a pas son pareil pour faire courir ses doigts sur le clavier, incapable qu’il est de tenir une note sur plus de trois temps… N’empêche, sa musique sent l’iode et le goémon, elle raconte les falaises abruptes, les massifs de bruyères, les étendues d’herbes rases. Surtout, ce neuvième album respire d’un amour sincère pour son coin de terre. Sauvage et rassurant. Comme lui.

Yann Tiersen, Eusa, Mute

Une carrière
en trois temps forts

Le phare (1998)
tiersen-phareNé en 1970, Yann Tiersen grandit à Rennes, la capitale de l’underground française dans les années huitante. Pas doué pour l’école, le Breton excelle en revanche dans ses diverses classes de conservatoire (violon, piano et direction). Après deux disques passés inaperçus, il se fait – un peu – connaître en 1998 avec Le phare, déjà enregistré en partie sur l’île d’Ouessant. Dominique A y chante Monochrome, tandis que Bertrand Cantat (Noir Désir), Neil Hannon (Divine Comedy) ou les Têtes Raides l’accompagnent lors d’une Black session de Bernard Lenoir, diffusée en direct sur France Inter lors des Transmusicales de Rennes. Dans le même temps, plusieurs de ses musiques apparaissent au cinéma, chez Téchiné et pour surligner la scène finale de La vie rêvée des anges, d’Erick Zonka, César du meilleur film en 1999. Sur les scènes de France et de Navarre, Tiersen apparaît en multi-instrumentiste hanté par sa musique, capable de jouer en même temps de l’accordéon et du piano. La seule chose qu’il se gardera de faire, à quelques exceptions près, c’est de chanter…

Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001)
tiersen-amelieLa vie de Yann Tiersen aurait pu être un long fleuve tranquille. En 2001, elle change de tournure lorsque ses musiques accompagnent Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, le film événement de Jean-Pierre Jeunet. Vendue à plus d’un million d’exemplaires rien qu’en France, cette bande originale exhume, pour moitié, d’anciens titres du compositeur, déjà présents sur ses disques précédents. Mais toute l’attention se porte sur sa fameuse Valse d’Amélie, concentré d’atmosphères montmartroises (bien que la pièce ait été, encore une fois, enregistrée sur l’île d’Ouessant). L’année suivante, il reçoit coup sur coup un César et une Victoire de la musique pour cette bande originale. La carrière de Tiersen est enfin lancée. En 2003, il signe la musique de Goodbye Lenin! de Wolfgang Becker et multiplie les rencontres, le temps d’un album en compagnie de la chanteuse américaine Shannon Wright ou sur des chansons de son album Les retrouvailles, en 2005, où il collabore avec Jane Birkin, Miossec, Liz Fraser (chanteuse de Cocteau Twins) ou Stuart Staples (chanteur de Tindersticks).

Infinity (2014)
tiersen-infinityDésormais célèbre sur le plan international, Yann Tiersen en profite pour brouiller les pistes. Il consacre en 2008 un album à la mémoire d’Eric Tabarly, le navigateur disparu dix ans plus tôt, pour accompagner un documentaire. Il abandonne peu à peu son accordéon pour des cordes et des synthétiseurs vintage en 2010 sur l’album Dust lane, enregistré entre Ouessant et les Philippines. Ses collaborations se font désormais toujours plus pointues, avec Dave Collingwood (Gravenhurst), avec Syd Matters, avec Matt Elliott (Third Eye Foundation). Son amour pour le rock underground prend le dessus dès l’année suivante, lorsque le Breton enregistre Skyline. Puis il se tourne carrément vers le postrock avec Infinity, en 2014. Il puise son inspiration dans l’aridité et le froid de l’Europe du nord. Ainsi, il fait appel à Aidan Moffatt (Arab Strap) et Olvaur Jakupsson et fait se rejoindre les cultures bretonne, anglo-saxonne, islandaise et féroïenne. Enfin, au printemps 2016, Tiersen compose la musique du documentaire Ouragan, l’odyssée d’un vent, dont la narration est inspirée de La mer et le vent de Victor Hugo.

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