Tardi: un chant d’adieu à la Grande Guerre

Jacques Tardi poursuit et termine son interrogation sur la Première Guerre mondiale. Il s’associe cette fois à sa compagne Dominique Grange pour explorer cette grande boucherie en BD et en musique.

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Par Romain Meyer
A 70 ans, Jac­­ques Tardi n’a plus rien à prouver depuis longtemps. Mais il a conservé un intérêt pour les esprits rebelles, non conventionnels, voire cyniques – d’Adèle Blanc-Sec à Nestor Burma en passant par les communards – un profond dégoût de l’injustice, ainsi qu’un questionnement toujours sain, dé-sespéré aussi, sur la folie sanglante des hommes. Et quelle meilleure période pour cela que la Première Guerre mondiale, dont l’auteur s’est fait une spécialité en une dizaine d’ouvrages (Putain de guerre!, C’était la guerre des tranchées…)?tardi-3-copie

Le titre de cette nouvelle étape est testamentaire et pessimiste, Le dernier assaut: l’ultime confrontation entre Tardi et ce conflit, comme un face-à-face avec l’enfer créé par certains hommes et vécu par d’autres. Avec cette lancinante question dont la réponse se refuse depuis un siècle: pourquoi? Pourquoi 10 millions de morts? Pourquoi une telle barbarie entre des peuples qui se considéraient alors comme civilisés? Pourquoi est-on passé d’une volonté de victoire à une volonté de détruire? Pourquoi simplement se taper dessus sans aucune véritable raison? Sans parler de cette science censée aider l’humanité et qui finit par inventer le gaz moutarde, le bombardement aérien ou le char d’assaut…

Les tripes dans la boue
Dans cette nouvelle visite, Tardi semble avoir abandonné tout espoir en une humanité capable d’ériger un tel monument de tripailles et de sang et de n’en avoir tiré véritablement aucune leçon, comme l’actualité le démontre quotidiennement. Les seuls vrais innocents dans toute cette sale histoire seraient bien les bêtes et ceux que l’on a traités comme telles. Sinon, comment expliquer l’épigraphe qui pourrait paraître bien cynique «Aux animaux morts pour la France»?le-dernier-assaut-bd-volume-1-simple-266816

Deuxième année du conflit. Augustin est «branco» – comprenez brancardier – sur le champ de bataille de la Somme. Antihéros à la fois témoin et acteur dans cette grande boucherie, il traverse le bourbier nourrissant sa réflexion sur cette guerre à laquelle personne n’arrive à trouver une signification, avec force anecdotes, ce qui donne un côté plus historiographique et pédagogique que véritablement narratif à cet ouvrage.

Ce voyage macabre, fait de rencontres plus souvent mortes que vives, sert de trame générale et chaque pas permet à Tardi de souligner l’absurdité des événements, un Dieu aux abonnés absents, la veulerie et le mépris de certains combattants, les plus hauts gradés surtout. Car il se met toujours au niveau du pauvre troufion.

Tardi souligne le non-sens, l’imbécillité généralisée de ces cinq années de guerre dans une pulsion libertaire défoulante. Il reste les pieds dans la boue la plupart du temps, pour pousser un coup de gueule de presque 90 pages. Quitte à tomber parfois dans le stéréotype – l’Allemand «rigide» – la situation ambiguë et facile – Augustin qui refuse de tirer sur un homme de dos, qui se révélera être Adolf Hitler – ou oubliant que la guerre n’a été que rarement joyeuse, qu’elle était majoritairement consentie et que les «rebelles» étaient plutôt rares dans cette société du début de siècle dominée par la hiérarchie tardi-page-2et l’obéissance. Tardi est un pacifiste dégoûté qui fait de la guerre le personnage principal de son œuvre.

L’horreur en chanson
Ce nouvel album prend en outre une dimension unique dans sa production puisque le dessin s’accompagne de musique. Le mélange a été porté sur scène sous le titre Putain de guerre! avec Dominique Grange – la compagne de Tardi – à la composition et au chant le plus souvent et le groupe Accordzéâm aux instruments. Tardi s’est chargé de la lecture de quelques textes.

Combinée à l’écoute du CD présent dans l’ouvrage, l’expérience de lecture prend une autre dimension, certains passages faisant l’objet d’un traitement musical, amplifiant l’horreur par la voix profonde de Dominique Grange. Un seul et même cri pacifiste, un même dégoût, un même message universel qui n’arrive pourtant pas à toutes les oreilles.

Tardi, Dominique Grange et Accordzéâm, Le dernier assaut, Casterman

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Posté le par Eric dans BD, Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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