Lescop, un chassé-croisé pop-électro au cœur de la nuit

Le Nouveau Monde, à Fribourg, accueille Lescop. Le chanteur français vient de sortir son deuxième album, Echo, troublant chassé-croisé de silhouettes nocturnes, sur fond de pop-électro. Rencontre.

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Par Eric Bulliard
Après un premier album remarqué, porté par le single La forêt (2012), Lescop est de retour avec Echo. Un disque troublant, où des personnages et des destins se croisent dans la nuit. Le tout sur fond de pop-électro tour à tour sombre, froide, dansante et organique. Avant son concert au Nouveau Monde, à Fribourg, entretien avec ce jeune Français qui navigue avec grâce entre les sons contemporains et les couleurs eighties.

«Cet album a été écrit à des terrasses de café, en observant les gens ou des photos dans des magazines et des livres, explique Lescop. C’est un chassé-croisé entre des personnages qui se lescop-coverfont écho, comme le dit le titre. Il y a David Palmer, mais aussi ce garçon dérangé, cette mauvaise fille, cette Loeiza, tous ces personnages que l’on suit dans Paris. Le premier album était très influencé par le cinéma, les images animées. Là, c’était plutôt des instantanés, des polaroïds de gens, de détails ou d’attitudes.»

Vous chantez Mauvaise fille, Garçon dérangé, une galerie de personnages en marge: qu’est-ce qui vous attire chez eux?
J’aime bien les gens tourmentés par des questions essentielles. «Je m’interroge sur le sens de la vie» est devenu un tel cliché qu’on n’ose plus le dire, mais je trouve intéressant les personnages qui prennent le temps de se poser des questions sur leur place dans le prisme de la société. Tous les personnages de l’album sont à la fois centrés sur eux-mêmes et regardent beaucoup les autres. Ce n’est pas antinomique: entre Narcisse et l’abbé Pierre, il y a plein de possibilités et on peut être un peu des deux.

Ces personnes-là se révèlent-elles surtout la nuit? Parce que l’atmosphère est très nocturne…
Tous ces personnages évoluent dans un univers assez nocturne, même si l’album n’a pas du tout été écrit la nuit. La nuit réveille des fantômes… Elle révèle des envies, des choses qu’on essaie de taire durant la journée. Souvent, on y fait des rencontres plus essentielles. La plupart du temps, c’est la nuit qu’on tombe amoureux, qu’on embrasse pour la première fois… La plupart des gens ne travaillent pas, la nuit. On fait tomber certains masques.

En revanche, les musiques peuvent être dansantes, voire légères: n’y a-t-il pas le risque que le propos passe au second plan?
Je trouve très bien que ça passe au second plan! Je ne suis pas un intellectuel, je n’ai pas envie qu’on écoute mes chansons religieusement… Je travaille énormément mes textes, mais c’est plus important que les gens aient un plaisir physique, quitte à danser ou à faire autre chose en écoutant de la musique. Si je voulais simplement être lu, j’écrirais des bouquins! Un bon texte s’entend sans qu’on prenne le temps de s’y attarder et même sans qu’on le comprenne. En général, quand on aime une chanson, c’est parce que le texte nous plaît. Même s’il est dans une langue qu’on ne comprend pas: gamin, quand j’ai écouté Bob Dylan pour la première fois, je ne savais pas de quoi il parlait, mais je savais que c’était bien écrit. Ça s’entend.

Quel rôle joue Johnny Hostile, qui produit l’album?
Il crée l’armature sonore et esthétique qui permet de révéler le texte. Souvent, en chanson française, on met la voix très en avant et la musique au second plan. Je pense que les paroles se révèlent par la musique, par la façon de se poser dessus. Contrairement aux poètes qui vont simplement être lus, nous pouvons nous inscrire dans une musicalité.
Lou Reed en parlait souvent, en interview. Si on ne prend que les paroles de ses chansons, si on s’en tient à la matière textuelle, c’est âpre. Alors que tout devient harmonieux et très beau, une fois révélé par la musique. Il ne faut pas tomber dans le piège de se prendre pour un poète.lescop-par-tristane-mesquita-2

Que vous reste-t-il de vos années punk, en particulier avec le groupe Asyl?
Des souvenirs assez violents. Avec Asyl, on avait envie de déplaire, avec un côté insolent, sale gosse, qui était une manière de nous construire. Johnny Rotten, chanteur des Sex Pistols, disait «anger is an energy». La rage était son carburant et beaucoup d’artistes partent de cette envie de défier le monde. Aujourd’hui, j’ai davantage envie d’être dans l’ouverture.
La rage, c’est bien, parce que ça titille l’intelligence, ça réveille, c’est vivifiant, comme plonger dans un bain froid. Mais après, un bon hammam peut être agréable! Plus jeune, j’avais très envie de confrontation, de combat, de destruction, maintenant, j’ai plus envie de construction. J’y vois une continuité: cette électricité de mes 15 ans m’anime toujours, mais je trouve une autre manière de l’exprimer, plus douce.

En fait, j’aimerais qu’on arrête de nous demander si c’est un choix pour nous de chanter en français. Est-ce qu’on demande à des chanteurs anglais si c’est un choix de chanter dans leur langue?

Sur scène, à quoi peut-on s’attendre?
A tout ça… A de la violence et à de la douceur. Il faut une petite caresse, un petit coup de griffe et un bisou dans le cou… De toute façon, sur scène, il faut grossir le trait, être un peu plus brutal, vaillant, conquérant. En même temps, j’aime que les concerts soient des moments de partage. Avant, je voulais que ce soit un combat. Maintenant, s’il y a un combat, je préfère qu’on le fasse ensemble.

Vous sentez-vous membre d’une famille, avec ces groupes de pop-rock qui revendiquent la langue française, comme Grand Blanc, Feu! Chatterton, La Femme, Mustang, Moodoïd?
On s’est découvert des liens de parenté par hasard. Comme des cousins éloignés qui se retrouvent… En même temps, dire qu’on est une famille reviendrait à croire qu’on est issus du même tronc, ce qui n’est pas forcément vrai. Chacun a un parcours différent et c’est toute la beauté et l’intérêt de ce qui se passe en ce moment dans le monde francophone. En tout cas, c’est stimulant: on se tire la bourre et c’est mieux que d’être tout seul à essayer de moderniser un peu la chanson française.

Dans une interview, on m’a dit que la chanson française était en train de mourir au profit de ces groupes-là. Alors que non, elle ne meurt pas, elle est en train de devenir La Femme, Feu! Chatterton, Grand Blanc… Il y a une nouvelle génération, qui écrit ce qui se passe maintenant et qui le fait en français.

En fait, j’aimerais qu’on arrête de nous demander si c’est un choix pour nous de chanter en français. Est-ce qu’on demande à des chanteurs anglais si c’est un choix de chanter dans leur langue? Un rappeur français, il ne lui viendrait jamais à l’idée de chanter en anglais.

Votre écriture joue beaucoup avec les phrases marquantes plus qu’avec les refrains…
Les punchlines, oui… C’est un truc que j’ai emprunté à l’écriture rap. Dans un concert de rap, il y a des moments où le public scande une phrase, au milieu du couplet, qui n’est pas un refrain, mais une punchline. J’aime bien cette approche-là de l’écriture.

Contrairement au rock, le rap n’a jamais lâché la langue française et il a contribué à moderniser l’écriture. Tous ces groupes dont on parle ont écouté du rap. Mais je suis persuadé que les Booba, Kery James, Rohff ne sont pas au courant qu’il y a ces jeunes qui font de la pop-électro-rock et qu’ils se sont inspirés d’eux.

Lescop, Echo, Universal. En concert: Fribourg, Nouveau Monde, vendredi 28 octobre, 21 h 30. www.nouveaumonde.ch

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

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