Vincent Delerm: la vie, ici et maintenant

Avec A présent, Vincent Delerm continue d’observer le quotidien et de distiller des merveilles légères ou mélancoliques. Rencontre lors d’un récent passage à Lausanne.

delerm

© CAUBOYZ – Tôt ou tard

Par Eric Bulliard

Avant même sa sortie, A présent recueille des échos très positifs: on parle déjà de l’album français de l’année…
Certains journalistes n’ont pas peur de parler huit fois de l’album de l’année… Mais c’est super, parce que quand tu fais des disques, tu y mets tout ce que tu peux et après, ce qu’il devient t’échappe un peu. Là, les gens sont touchés et, très tôt, il y a eu des retours positifs. C’est curieux, parce que l’album n’est pas encore sorti: si ça se trouve, on en vendra quatre! Mais je sens une sorte de bienveillance globale que je rattache à mon parcours: depuis dix ans, j’ai essayé de proposer des choses différemment, de casser les habitudes.

Ce qui touche aussi, c’est la présence, en arrière-fond, des dra­mes qu’a connus la France, dont vous parlez à travers une célébration de la vie…
delerm-coverSans doute, parce que c’est un truc que tout le monde a beaucoup en tête depuis un an. Mais, finalement, je n’ai jamais fait autre chose: pour écrire des chansons, tu es sur une sorte de vibration, tu essaies de respirer l’air du temps et, en même temps, de le mettre en perspective avec la vie, le temps qui passe, des problématiques auxquelles les gens ne pensent pas forcément, parce qu’ils sont pris dans une vie professionnelle galopante.

Là, il y a eu un coup d’arrêt: ils se sont dit que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. J’ai juste accompagné ça avec ce disque en demandant: qu’est-ce qui est important? J’ai toujours travaillé sur ces thématiques, mais elles ont pris une résonance différente.

Cristina ou Je ne veux pas mourir ce soir fonctionnent par touches: est-ce une volonté d’aller vers une écriture épurée?
De plus en plus, je pense qu’il faut laisser des choses en creux, pour que les gens complètent la chanson. J’aime aussi aligner des éléments très simples, sans émotion apparente, qui, une fois mélangés avec, en plus, la mélodie et les arrangements, aboutissent à un ensemble pas anodin. La chanson permet cette sorte de montage, pour dire que la vie est une mosaïque de tout ça et que ce n’est pas rien.

Ce qui exige une justesse de ton pour rester dans la simplicité, sans tomber dans la facilité ni le banal…
Oui, il vaut mieux que ce soit juste, sinon j’aurais l’air bête… Mais les gens ont une conception du banal que je ne partage pas. C’est comme l’adjectif «petit» quand on parle des «petites choses» de la vie: ils seraient prêts à considérer que leur existence, leurs vêtements, leur chez-soi sont banals… Mais alors, qu’est-ce qui n’est pas banal? Amour, gloire et beauté? Ou Dallas?

En gros, tout ce qui nous concerne serait banal. C’est curieux, ce manque de confiance de l’être humain. Alors que nos sentiments, notre vie nous intéressent tous… La nuit, nous avons les yeux fixés au plafond quand nous sommes dans des incertitudes, mais il y a une sorte de pose qui consiste à dire: «Non, non, moi ça ne compte pas.»

En partant du personnel, j’aime donner à entendre un écho pour que ceux qui écoutent se disent: «Moi aussi, je ressens ça…» Et, idéalement, qu’ils aient l’impression d’être seuls avec cette sensation. Il ne m’est jamais arrivé que tout le monde, à la sortie d’un disque, se reconnaisse dans le même passage.

La chanson Dans le décor se termine avec la voix de Jane Birkin qui évoque Gainsbourg: des références importantes?delerm-2
Oui, ça fait partie des références plus ou moins fortes pour tout le monde. J’ai une vraie affection pour le personnage de Jane et son évolution ou plutôt l’évolution du regard qu’on a eu sur elle: la considérer comme la ravissante Anglaise qui ne comprend pas tout avant de se rendre compte, avec les années, à quel point c’est quelqu’un de profond. Et le rôle qu’elle a eu sur Gainsbourg, sa façon de le faire sourire sur les plateaux, comme si tout à coup tout le masque tombait…

Au-delà de ça, l’allusion à leur couple est discrète, c’est juste l’histoire du rubis, de ce collier qu’elle lui avait offert et qu’il s’est fait voler dans un taxi. Je suis passé par des états du texte où la référence était plus appuyée, mais j’aimais bien qu’il puisse évoquer n’importe qui.

Nous sommes tous dans le décor, à chacun d’en faire ce qu’il veut. On peut dire «je m’en fous» et continuer à avoir pour priorité de grimper dans la hiérarchie sociale. Mais on peut aussi s’arrêter un peu, se poser des questions, ne serait-ce que pour être plus vivant.

L’idée, très présente sur le disque, c’est que quel que soit le temps qui reste, tu as la vie devant toi: même si tu as perdu quelqu’un, tu es présent. Nous sommes tous dans le décor, à chacun d’en faire ce qu’il veut. On peut dire «je m’en fous» et continuer à avoir pour priorité de grimper dans la hiérarchie sociale. Mais on peut aussi s’arrêter un peu, se poser des questions, ne serait-ce que pour être plus vivant.

Pourquoi avoir intégré sur l’album un extrait du documentaire de 1961, Chronique d’un été, où l’on demande à des passants: «Etes-vous heureux?»
J’adore ce passage de ce documentaire et j’ai toujours pensé l’utiliser un jour. Là, c’était le moment. Une fois qu’on avait mis cette archive, c’était une évidence: la question du bonheur était l’enjeu de l’album. On le ressentirait moins si elle n’y était pas. Il y a une réponse que j’aime bien: «J’ai eu du bonheur, j’ai eu du malheur, ça ne peut pas être autrement, il faut bien partager un peu.» Je la trouve touchante et elle résume un peu le disque.

Vincent Delerm, A présent, Tôt ou tard / Disques Office

L’intime et l’universel
Et soudain il y a Cristina… Ses pas, sa silhouette qui s’efface. Un mystère. Un sommet de cet album, peut-être le meilleur de Vincent Delerm. Trois ans après Les amants parallèles qui laissaient toute la place au piano, il revient aux orchestrations plus foisonnantes, avec ces cordes très présentes mais jamais pesantes.

Vincent Delerm n’a rien perdu de son talent pour mêler l’intime et l’universel. «Nous sommes la vie à cet instant», lâche-t-il dans la chanson-titre. L’album est tout entier dans cette célébration du quotidien, qui fait un bien fou en ces temps troublés. A l’émotion de Je ne veux pas mourir ce soir ou de La dernière fois que je t’ai vu s’ajoute encore l’autodérision, à travers Les chanteurs sont tous les mêmes, duo avec Benjamin Biolay qui, au printemps, signait l’autre meilleur album français de l’année (Palermo Hollywood).

 

Posté le par Eric dans Chanson française, Musique Déposer votre commentaire

Ajouter un commentaire