La Bohème, la Touraine qui fait danser Berlin

Ce soir, La Bohème inaugure, avec le violoniste Primasch, la première saison culturelle du Trace-Ecart Kafé. Depuis plus d’une année, la Touraine de 22 ans est DJ résidente à l’Ipse, un haut lieu de la culture alternative berlinoise. Derrière ce nom de scène, Fiona Rody avoue ne pas aimer être au centre de l’attention. Aujourd’hui, c’est raté. Rencontre.

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par Christophe Dutoit

Depuis plus d’une année, Fiona Rody se rend tous les deux mois à Berlin. La dernière fois, le 13 août, réveil à 6 h. Une douche, deux expressos, le taxi. «Et un shot de Jägermeister juste avant de passer derrière les platines…» Ce samedi matin-là, La Bohème participait au Wildside Festival. De 8 h à 12 h, la jeune Touraine de 22 ans a fait danser des centaines de clubbers à l’Ipse, ce haut lieu de la techno berlinoise, dont elle est désormais DJ résidente. L’ambiance sera sans doute plus feutrée ce soir à Bulle, à Trace-Ecart, où elle se produira en compagnie du violoniste Primasch pour l’inauguration de la première saison culturelle de la galerie.

Flash-back. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Fiona Rody aime chanter. D’abord au sein de la chorale d’Echarlens sous la direction de son papa, lui aussi violoniste de formation et chanteur connu sous le pseudonyme d’Epheire. Puis elle fait partie des Maîtrises de La Tour-de-Trême et de Bulle. «Quand j’étais petite, le chant était mon activité de la semaine. J’avais beaucoup de plaisir à interpréter de belles pièces classiques. Même si j’aurais rêvé de ne pas aller à la messe un dimanche sur deux.»

J’ai bien essayé de jouer de la guitare et du piano, mais je n’ai pas été assidue à mes devoirs. Finalement, la voix, ça se travaille où on veut, quand on veut. Je l’emporte partout avec moi.

A l’âge de 8 ans, elle gagne le prix du public lors du concours du 1er Mai, qui lui permet de suivre des cours avec Catherine Ducret. «J’ai bien essayé de jouer de la guitare et du piano, mais je n’ai pas été assidue à mes devoirs. Finalement, la voix, ça se travaille où on veut, quand on veut. Je l’emporte partout avec moi.» Même sous la douche.

Avec son ami Samuel Pasquier, alias Chapkmace, Fiona Rody s’initie – à la fin de son adolescence – à l’art du djing. «Il m’a montré la technique. Au départ, je ne tenais pas forcément à m’introduire dans son truc.» Le couple commence à mixer sous le nom de Double You, puis Fiona Rody prend le nom de La Bohème et intègre le Kartel Klub.

J’avais 19 ans et je devais devenir pote avec les gars de la sécurité pour pouvoir entrer.

En 2013, lors de sa troisième année à l’Eikon, la Gruérienne passe trois mois et demi à Berlin. Un stage qui s’avère «un échec total en ce qui concerne l’apprentissage de l’allemand», mais très inspirant en termes musicaux, dans la capitale des sonorités électroniques. Elle mixe dans des bars improbables à l’appel du collectif genevois Arm & Sexy. «J’avais 19 ans et je devais devenir pote avec les gars de la sécurité pour pouvoir entrer.» Lors de ce séjour, elle prête sa voix pour une production sur un label berlinois. Expérience un brin frustrante: «On m’avait envoyé le morceau et j’ai chanté une partie qui lui correspondait vraiment. Mais ma voix a fini sur un autre titre…»

De retour à Bulle, elle mixe régulièrement avec le Kartel Klub. Comme cette nuit à Globull, au printemps 2015. «Nous avions invité Meggy, une DJ berlinoise. Elle m’a donné son e-mail et je lui ai écrit en pensant qu’elle ne me répondrait jamais.» L’Allemande lui envoie non seulement un courrier, mais lui demande surtout une mixtape, un extrait de sa musique.

«Je ne comprenais rien»
Quelques jours plus tard, La Bohème joue à l’Ipse, un club langui au bord de la Spree, tout à l’est du quartier de Kreuzberg. «C’était le 21 juin, le jour de la Fête de la musique. Je ne comprenais rien à ce qu’il se passait…» Au terme de son set, le propriétaire des lieux l’accoste: «On a un problème: on veut t’engager, il faut que tu déménages à Berlin.» La Touraine va refuser l’offre. «J’aurais pris beaucoup de risques. Berlin fonctionne de manière assez bizarre au niveau du travail. Une serveuse est payée 5 euros de l’heure. A cause de la concurrence, un DJ ne devient pas riche. En plus, les clubs demandent des exclusivités.»ipsemelange

La collaboration ne s’arrête néanmoins pas net avec l’Ipse. Au contraire, elle y acquiert le statut de résidente. «J’y mixe une fois tous les deux mois, par exemple lors du dernier Nouvel-An.» Malgré sa place en haut de l’affiche, La Bohème n’a pas attrapé la grosse tête. «Lorsque je mixe, je préfère qu’on ne me voie pas. Parfois, on me reproche de ne pas sourire. Mais je suis si concentrée derrière mes platines. En fait, je n’aime pas être au centre de l’attention.» A une table du Cyclo, à Fribourg, le contraste est édifiant. On peine à imaginer cette élégante jeune femme aux cheveux ultracourts, aux traits si fins et aux yeux lumineux en train de faire danser le Tout-Berlin. Et pourtant.

Cerveaux ramollis
La dernière fois, à la mi-août, elle a assuré un techno breakfast durant plus de quatre heures. A ces petites heures des matins berlinois, le club réunit des danseurs bigarrés. «Une belle synergie se crée entre les zombies qui traînent la patte après une nuit de transe et les gens frais qui débarquent après une nuit de sommeil, décrit-elle. A ces heures-là, les cerveaux sont ramollis. Le matin, j’aime poser des ambiances sur le long terme, pour emmener les gens avec moi. Au début, ça me stressait de mixer durant trois heures. Expérience faite, je laisse couler les tracks plus longtemps.» Et ça marche.fionacolor

Pour se faire connaître, La Bohème poste ses podcasts musicaux sur son Soundcloud. A l’image de son Ipse mélange #6, un set qui n’a rien à envier aux meilleures productions techno actuelles, déjà joué plus de 3300 fois. Bien qu’elle déteste les produire – «ça me bloque, je suis trop perfectionniste» – ses enregistrements lui servent de carte de visite. «Les likes sur Facebook sont un moyen d’attirer du monde et de faire bouger les gens.»

Plus d’une année après son premier set à l’Ipse, Fiona Rody vit cependant une période de remise en question. «Je travaille comme serveuse depuis quel-ques années. Ma vie professionnelle va évoluer. Sur le plan musical, j’ai de plus en plus envie de partir vers le live. Mais je suis une grosse flemme avec les logiciels de musique…» Elle pourra ainsi «donner davantage de son âme». Comme elle l’a fait, lors des récentes Francomanias, en montant sur scène à l’impromptu pour chanter en trio avec Fraser Anderson. A la fraîche, en toute simplicité.

J’ai l’impression d’avoir les cartes en mains, il faut que j’ose.

Vers une certaine stabilité«Le fait de mixer à l’Ipse ne m’a pas boostée énormément et ça ne m’a pas ouvert tant de portes, avoue Fiona Rody. J’ai obtenu quelques dates à Zurich ou à Berne. Parfois, je ne mixe pas durant deux mois, c’est très aléatoire. Pour l’instant, il n’y a pas assez de possibilités pour foncer les yeux fermés. En même temps, j’ai aussi envie d’une certaine stabilité financière et personnelle.»La jeune femme garde les pieds sur terre. «Je suis prête à faire le grand pas. En même temps, j’aimerais utiliser davantage ma voix. J’ai l’impression d’avoir les cartes en mains, il faut que j’ose.»

soundcloud.com/labohememusic

«On va se jeter à l’eau»

Samedi soir, Primasch invite La Bohème dans son univers musical. «J’aime de moins en moins jouer seul, avoue le violoniste Jean-Christophe Gawrysiak. J’aime jouer avec des personnalités. J’aime intégrer d’autres sensibilités. Fiona Rody est une musicienne dans l’âme, ça se sent tout de suite. Elle possède une très belle esthétique. Je vais lui laisser libre cours. Elle va poser ses sons, ses rythmes, ses tonalités, et je vais improviser là dessus.» De son côté, La Bohème se réjouit de l’expérience. «Nous nous sommes rencontrés une seule fois. On va se jeter à l’eau.»

Bulle, Trace-Ecart, samedi 1er octobre, 21 h, www.traceecart.ch

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