Nick Cave: huit oraisons funèbres pour le fils disparu

En juillet 2015, l’un des fils de Nick Cave chutait mortellement d’une falaise près de Brighton. En huit chansons ténébreuses, l’Australien rend hommage à cet enfant qui ne reviendra pas.

nickcave

par Christophe Dutoit

La mort plane de longue date sur l’œuvre chanté de Nick Cave. En 1984, elle irradiait déjà A box for Black Paul à l’époque de son premier album solo: «Who’ll build a box for Black Paul? / Who’ll carry it up the hill? / “Not I”, said the widow, adjusting her veil (Qui construira une boîte pour Black Paul / Qui le transportera sur la montagne / “Pas moi”, dit la veuve en ajustant son voile).» Plus tard, elle hantera une poignée d’albums d’outre-tombe, à commencer par The firstborn is dead en 1985, et son allusion au frère mort-né d’Elvis, Your funeral, my trial l’année suivante ou encore Murder ballads en 1996.

Exorciser l’inexorable
D’aussi loin qu’il montât sur scène, le chanteur australien a tenté d’exorciser l’inexorable, il a rôdé dans les parages de la Grande Faucheuse pour mieux la fuir et il lui a échappé à chaque abus trop massif de dope et d’alcool. Depuis près de quarante ans, Nick Cave est un survivant. Un écorché souvent exsangue, un rescapé du rock’n’roll, un miraculé.

En juillet 2015, Arthur Cave, l’un de ses fils jumeaux, est retrouvé mort au pied d’une falaise près de Brighton. Il avait 15 ans et, ironie du sort, il venait d’ingurgiter une dose de LSD. «You fell from the sky / Crash landed in a field / Near the river Adur / Flowers spring from the ground /…/ With my voice / I’m calling you (Tu es tombé du ciel / Et tu t’es échoué dans un champ / Près de la rivière Adur / Des fleurs ont poussé de la terre /…/ De ma voix / Je t’appelle).»

Une année après le drame, l’inconsolable père vient de publier son seizième album, Skeleton tree, que la mémoire de ce fils disparu transperce de part en part. Accompagné de ses fidèles Bad Seeds et leur lieutenant Warren Ellis, Nick Cave livre huit oraisons funèbres, glaciales et rédemptrices. A l’image de Jesus alone et ses paroles dramatiques susurrées sur un tapis de bruitages saturés et quelques notes de piano. «Let us sit together in the dark until the moment comes (Asseyons-nous dans le noir jusqu’à ce que le moment arrive).»

Trois ans après l’excellent Push the sky away et la torride tournée qui s’ensuivit, Nick Cave guérit aujourd’hui son traumatisme par la chanson. Surtout avec des mots d’une intimité troublante, souvent d’une simplicité qui les rend encore plus pertinents, toujours d’une profondeur qui ravive la douleur. «Nothing really matters when the one you love is gone / You’re still in me, baby / I need you / In my heart, I need you (Plus rien n’importe vraiment lorsque l’être aimé est parti / Tu es toujours en moi, petit / J’ai besoin de toi / Dans mon cœur, j’ai besoin de toi).» 

De l’ampleur à chaque mot
Avec sa voix à peine mélodieuse, il pose ses textes sur des musiques coécrites avec Warren Ellis, avec qui il a déjà signé, en duo, plusieurs musiques de film. Tout en retenue et avec une colère tout intériorisée, ils ont bâti une architecture sonore envoûtante, souvent plus proche d’une bande-son que de chansons avec des classiques couplets-refrains. Malgré ce dénuement, cette aridité qui donne de l’ampleur à chaque mot, à chaque note, Skeleton tree est parcouru d’une intensité qui donne le frisson, à l’image de Girl in amber. «If you want to bleed, just bleed (Si tu veux saigner / Simplement saigne).» Magistral. 

Il y a une vingtaine d’années, juste après un divorce et une liaison tumultueuse avec PJ Harvey, Nick Cave transcendait sa douleur et enfantait du sublime album The boatman’s call. A l’époque, il avait déjà dû affronter ses démons de face et puiser dans ses tragédies intimes pour nourrir sa création. Comme Robert Plant à la mort de son fils Karac (All my love, en 1979), comme Eric Clapton après le décès de Connor (Tears in heaven, 1992), Nick Cave transforme la perte de son enfant en œuvre artistique de très haut vol.

En 1996, le chanteur reprenait, avec une poignée d’invités, Death is not the end de Bob Dylan en conclusion de son album Murder ballads. Il n’y a rien à ajouter… «When you’re sad and when you’re lonely / And you haven’t got a friend / Just remember that death is not the end (Lorsque tu es triste et esseulé / Et que tu n’as pas d’amis / Souviens-toi juste que la mort n’est pas une fin).»

Nick Cave
Skeleton tree
Limmat Records

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