Gaël Faye, au temps de l’insouciance

Avec Petit pays, son premier roman, Gaël Faye crée l’événement de cette rentrée littéraire. Le rappeur-slameur de 34 ans a puisé dans ses souvenirs du Burundi des années 1990 pour évoquer une enfance balayée par la guerre.

 

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Par Eric Bulliard

La rumeur s’est confirmée: la révélation de cette rentrée littéraire se nomme Gaël Faye. Son Petit pays a remporté le prix du roman Fnac et figure dans les premières sélections pour le Goncourt, le Médicis et le Femina. Un succès mérité pour ce premier roman qui surnage dans l’avalanche automnale, en équilibre délicat entre l’innocence et l’horreur.

Premier roman, mais pas une œuvre de débutant: sa plume, Gaël Faye l’a exercée dans la chanson, version slam et rap. En 2013, il sortait son premier album, Pili Pili sur un croissant au beurre, et sa tournée passait, la même année, par La Spirale, à Fribourg. Catherine Nabokov, éditrice indépendante qui apprécie ses chansons, encourage alors le jeune homme à se lancer dans un roman. Grasset ne tarde pas à le signer, sur la foi d’une trentaine de pages. Aujourd’hui, Petit pays se trouve en cours de traduction dans une quinzaine de langues et côtoie les der­niers Amélie Nothomb, Laurent Gaudé et Eric-Emmanuel Schmitt dans les meilleures ventes en France.

Chamailleries et chapardages
Né au Burundi d’un père français et d’une mère rwandaise, Gaël Faye est arrivé en France en 1995, à l’âge de 13 ans. Désormais de retour en Afrique (il vit à Kigali, au Rwanda), il a puisé dans ses souvenirs pour évoquer ceux de Gabriel, son narrateur.

Petit pays retrace une enfance heureuse à Bujumbura, faite de chamailleries et de chapardages. Rigolades et premières cigarettes. «C’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer.» Tout commence à s’effriter avec la séparation des parents de Gabriel. Avant que le souffle de l’histoire ne balaie l’insouciance.couv-faye

«On passait notre temps à se disputer, avec les copains, mais y a pas à dire, on s’aimait comme des frères.» Cette bande de gamins vit sa jeunesse rigolarde sans se rendre compte que, en ce début des années 1990, une haine sourde s’est instillée au plus profond du Burundi et de son voisin, le Rwanda. «Nous ne le savions pas encore, mais l’heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons.»

La réalité profonde
Gabriel n’a pas compris les fractures d’un Burundi «fait de chuchotements et d’énigmes». Quand la guerre éclate et que les élèves, à l’école, se lancent des «sales Hutu» et des «sales Tutsi», il lâche: «Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J’ai découvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre.»

Impossible de rester neutre, quand un tel conflit vous submerge: Petit pays est aussi le récit d’un engrenage. Dans ce monde-là, «un simple enfant qui faisait comme il pouvait dans un monde qui ne lui donnait pas le choix», risque de se retrouver emporté par la haine.

Gaël Faye, et c’est une des réussites de son roman, trouve la distance juste pour raconter aussi bien les jeux d’enfants que l’horreur. Sans en rajouter dans l’atrocité, avec toujours ce sentiment d’incompréhension face à l’absurde violence des adultes. A sa petite sœur qui l’interroge, il ne sait que répondre: «Je n’avais pas d’explication sur la mort des uns et la haine des autres. La guerre, c’était peut-être ça, ne rien comprendre.»

Un autre refuge
Il observe ce passé à travers les yeux d’un préadolescent, mais sans naïveté ni mièvrerie. Le ton juste, là encore, même quand la tragédie s’étend et détruit à jamais l’innocence. «Le bonheur ne se voit que dans le rétroviseur», lâche un jour Donatien, contremaître dans l’entreprise du père de Gabriel.

Aux morts du Burundi s’ajoutent, après l’attentat du 7 avril 1994, les massacres au Rwanda, «devenu un immense terrain de chasse dans lequel le Tutsi était le gibier». Le pays de sa mère se transforme en charnier et laisse la famille impuissante.

Délaissant peu à peu ses amis emportés par la folie ambiante, Gabriel trouve un nouveau refuge: «Dans mon lit, au fond de mes histoires, je cherchais d’autres réels plus supportables, et les livres, mes amis, repeignaient mes journées de lumière.» Une voisine lui a ouvert les yeux à la littérature, cet autre monde, cette précieuse respiration quand le monde vous étouffe, quand ses ténèbres viennent éteindre les lumières de l’enfance.

Gaël Faye, Petit pays, Grasset, 224 pages

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