Quand de grands artistes de bande dessinée rencontrent les meilleurs spécialistes de connaissances disparates, cela donne La Petite Bédéthèque des savoirs. Des petites cases et un paradis pour curieux.
Par Romain Meyer
Lier vulgarisation et bande dessinée n’est pas à proprement parler récent. Pendant longtemps, le 9e art a été ressenti par certains bien-pensants comme un lieu de perdition pour la jeunesse, devenue soudainement incapable de lire des ouvrages «sérieux». Du coup, utiliser la passion des «petits mickeys» pour inculquer des connaissances était vu comme un moyen de détourner un défaut pour en faire une qualité.
Le calcul était simple, il s’est révélé simpliste: les résultats furent – et ils le sont encore – très souvent pontifiants, bébêtes, bâclés, gâchant à la fois l’intérêt de la lecture et celui de l’apprentissage. Avec quelques exceptions, on pense à L’Art invisible de Scott McCloud.
Alors que l’on avait abandonné l’espoir d’une coexistence constructive, voilà que débarque La Petite Bédéthèque des savoirs. Proposé par l’éditeur Le Lombard, chacun de ces petits ouvrages – 14 cm sur 19,6 – réunit la crème des créateurs de bande dessinée francophone avec des spécialistes reconnus, souvent de stature internationale. Cette collaboration inédite propulse cette collection bien au-delà de la production à la va-vite qui est l’apanage du genre. Avec une conséquence évidente: les ouvrages ne sont plus destinés à la prime jeunesse. Ils sont exigeants sans être lourds, avec une esthétique qui soutient le propos.
Duos dynamiques
Les sujets choisis jusqu’à présent sortent également des habitudes, preuve encore qu’ils s’adressent à un public plus âgé et curieux. Le heavy metal, l’univers, les requins, l’intelligence artificielle constituaient les thèmes de la première fournée. 
La seconde vient d’arriver: le tatouage, par Jérôme Pierrat (historien, réalisateur et rédacteur en chef de Tatouage Magazine) et Alfred (Pourquoi j’ai tué Pierre); le droit d’auteur, par Emmanuel Pierrat (avocat spécialisé, romancier et chroniqueur judiciaire pour Livres Hebdo) et Fabrice Neaud (lire son fabuleux Journal); le hasard, par Ivar Ekeland (mathématicien dont un théorème porte le nom) et Etienne Lécroart (l’élément créatif compulsif de l’Ouvroir de bande dessinée potentiel); le nouvel Hollywood, par Jean-Baptiste Thoret (critique et historien du cinéma, notamment à Charlie Hebdo et à Mauvais Genre sur France Culture) et Brüno (Tyler Cross, Inner City Blues).
Chaque ouvrage possède son propre ton, son rythme intime. Plusieurs utilisent le dialogue entre l’artiste et le savant pour édifier le savoir. Il ne s’agit pas ici de proposer un récit narratif, ce qui constitue le propre de la bande dessinée, mais bien de mettre en valeur le discours scientifique. Et pas seulement de l’illustrer.
Le changement est salutaire. Mais si les sujets et les auteurs sont pointus et sérieux, la combinaison est agréablement digeste et habile, jusqu’à rendre intéressant des sujets a priori peu propices à être illustrés, voire «repoussoirs», comme le droit d’auteur ou l’intelligence artificielle. Vulgarisé, mais pas vulgaire, précis, mais accessible, scientifique et pédagogique, cette Petite Bédéthèque constitue une solution à l’équation souvent déséquilibrée entre art et science.
L’infini à portée de tous
Autre exemple de cette promiscuité enrichissante, la bande dessinée de Thibault Damour (physicien, professeur, membre de l’Académie des sciences et récipiendaire de la médaille Einstein) et Mathieu Burniat (auteur de La Passion de Dodin-Bouffant). Le mystère du monde quantique, en reprenant le modèle des aventures de Tintin et Milou, mais dans un monde onirique, rend compte des superpositions de réalités, théoriques et quotidiennes, du cheminement des découvertes, à la rencontre des grands noms de la discipline, de Planck à Bohr, d’Einstein à Schrödinger. Le duo complice met l’infini à la portée de tous.
La Petite Bédéthèque des savoirs, huit tomes déjà parus, Le Lombard; Thibault Damour et Mathieu Burniat, Le mystère du monde quantique, Dargaud
