Coluche: petit abécédaire de l’enfoiré

Le 19 juin 1986, Coluche, 41 ans, se tue à moto dans le Sud de la France. Le choc est immense, inimaginable aujourd’hui. Trente ans après, son humour ravageur, son insolence, ses sketches n’ont rien perdu de leur pertinence. Retour sur quelques facettes d’un personnage hors normes.

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Par Eric Bulliard
Animateur radio. Son passage à Radio Monte-Carlo n’aura duré que quinze jours, en 1980. Il faut dire que Coluche avait pour consigne d’épargner la famille princière et qu’un calembour à deux balles a déplu: «T’as vu Monte-Carlo? Non, j’ai vu monter Caroline.»

C’est surtout sur Europe 1 que Coluche a révolutionné la radio, comme il a révolutionné l’humour. Pour Desproges, il a «institué la première nouvelle forme de radio depuis la Libération». D’abord avec On n’est pas là pour se faire engueuler (du 24 avril 1978 au 24 juin 1979) puis, du 8 juillet 1985 au 19 mars 1986, avec Y’en aura pour tout le monde.

Autoproclamé «le Mimi le plus gentil», il invente un nouveau type d’émission, direct, spontané, où les vannes et les blagues salaces alternent avec de vraies discussions de société. Et il ouvre largement l’antenne aux auditeurs qu’il appelle «enfoirés»… et qui le lui rendent bien.

Belges. Coluche a popularisé les blagues sur les Belges, tout en précisant qu’il ne les avait pas inventées: souvent, il s’agissait d’histoires racontées par les Wallons sur les Flamands. Il a aussi ajouté que des Suisses lui avaient écrit: «Monsieur, vous faites toute une publicité aux Belges… alors que nous, on a les Suisses allemands, y sont largement aussi cons!»

Cinéma. L’aile ou la cuisse (avec De Funès), La vengeance du serpent à plumes, Banzaï, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, Inspecteur la Bavure, Le bon roi Dagobert… Coluche a joué dans une vingtaine de films, plus ou moins oubliables, en plus de Tchao pantin, qui lui a valu le césar du meilleur acteur en 1984. Il en a aussi réalisé un, Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, en 1977. Un bon gros nanard.

Drogues. «J’ai goûté à tout ce qui existe, sauf oubli ou omission», lâche-t-il à la télévision, au Jeu de la vérité. Alcoolique pendant quinze ans, il a ensuite goûté aux drogues dures: «J’ai mis le nez dedans, après j’ai mis la tête, j’en ai eu plein les oreilles. Mais j’en ai pas honte, c’est ça qu’est pire…»

Elections. Une de ses meilleures plaisanteries, une des plus dramatiques. Coluche annonce en 1980 sa candidature aux élections présidentielles. Soutenu par Charlie Hebdo, il lance ces slogans: «Tous ensemble pour leur foutre au cul» et «avant moi, la France était coupée en deux, avec moi, elle sera pliée en quatre». Il finit par se retirer face aux pressions et menaces de tous bords. C’est que son gag a pris de l’ampleur: un sondage le place à 16% d’intentions de votes…

Coluche entre ensuite dans sa période la plus sombre, entre grève de la faim, paranoïa, déprime, drogues, divorce et suicide d’un de ses meilleurs amis, Patrick Dewaere. Le comédien se tire une balle dans la tête, le 16 juillet 1982, avec une carabine que Coluche lui avait offerte.

Fleuriste. Avant de s’essayer à la chanson puis de se lancer dans l’aventure du Café de la Gare (avec Patrick Dewaere, Miou-Miou, Romain Bouteille…), Coluche a pratiqué une quinzaine de petits boulots, dont garçon de café, livreur et fleuriste, le métier de sa mère.

Gérard. «Géraaard! Géraard! Il faut que j’te parle! Ta mère et moi, nous t’avons élévé jusqu’à présent… Surtout ta mère, évidemment, imbécile! Je travaille toute la journée, ta mère, elle a que ça à foutre…»

Hospitalité. Rue Gazan, près de Montsouris, à Paris, sa maison était ouverte à tous vents et à toutes les fêtes. Un soir, rentrant chez lui avec un pote, Coluche jette un œil aux bambochards réunis et lui lance: «Allons au restaurant, aujourd’hui, je ne connais personne ici.»

Italie. «Il y en a qui sont beurs, moi je suis fromage, mais d’origine parmesan.» Le père de Michel Colucci, Honorio, était maçon et peintre en bâtiment, originaire du sud de Rome. Il est mort alors que son fils n’avait que trois ans. Sa mère, Simone Bouyer, dite Monette, a élevé seule Michel et sa sœur aînée, Danièle.

Jupes. Sa mère habillait le frère et la sœur de la même manière. Le petit Michel appréciait peu, mais, plus tard, il s’est souvent travesti, pour déconner ou provoquer, avec robes, rouge à lèvres et vernis à ongles. En particularité quand il présentait Coluche 1-faux, sur Canal+, d’octobre 1985 à février 1986. Il s’est aussi présenté en jupe rose et bas résilles au festival de Cannes en 1985.

Kilos. Son image de rondouillard a fait oublier qu’il pesait 57 kilos, à ses débuts, pour 1,72 m. Persuadé que seuls les gros font rire et pour se venger d’avoir eu faim, il s’est ensuite efforcé de prendre du poids.

Le Luron. Le mariage, le 25 septembre 1985, avec l’imitateur vedette Thierry Le Luron (mort du sida cinq mois après Coluche) est resté célèbre. Rappelons que ce canular a été monté par dérision envers l’hypermédiatisation du mariage d’Yves Mourousi, journaliste ami de Coluche, avec Véronique d’Alençon. «Notre mariage est bidon, nous n’avons pas peur de le dire, nous…»

Moto. Une passion de toujours, qui lui coûtera la vie, ce maudit 19 juin 1986, quand un Putain de camion, comme chantera Renaud, lui coupe la route à Opio, près de Grasse. Il possédait une dizaine de motos et a battu un record du monde de vitesse du kilomètre lancé sur piste, le 29 septembre 1985, à 252,087 km/h.

Nez rouge. Avec la salopette, ce nez de clown (et de poivrot) est devenu indissociable de son personnage de scène. Il paraît que c’est Romain Bouteille qui lui en a donné l’idée, un jour où il est arrivé au Café de la Gare, rougi par le froid.

Omo. «Ah, il est bien le nouvel Omo! C’est celui qui lave encore plus blanc. Moi j’avais l’ancien Omo qui lavait plus blanc… Mais il lavait bien déjà hein!  
Et maintenant y’a le nouvel Omo, qui lave encore plus blanc! Moi, j’ose pas changer de lessive: j’ai peur que ça devienne transparent.»coluche-03

Popularité. Difficile aujourd’hui de se rendre compte de ce que représentait Coluche de son vivant. Adulé autant que détesté, il a connu un immense succès, mais a reçu des menaces, des insultes, recueillait la haine des curés, des flics, des militaires, des racistes, de la bourgeoisie et souvent des journalistes… On lui reprochait sa vulgarité («grossier, mais jamais vulgaire», répétait-il) comme sa grande gueule, son air de se moquer de tout, sa façon de balancer des horreurs à la tête de tout le monde. Les Restos du cœur, sa mort et les années ont redoré son image: il y a deux mois, un sondage indiquait qu’il restait l’humoriste préféré des Français, loin devant Laurent Gerra.

Question. Il est l’auteur de la réponse la plus cinglante qu’on puisse adresser à un journaliste: «Je veux bien essayer de faire des réponses intelligentes, mais il faut arrêter de poser des questions idiotes.» Allez continuer l’interview, après ça…

Restos du cœur. Tout débute en direct sur l’antenne d’Europe 1. Sans avoir rien prémédité, le 26 septembre 1985, il lance: «J’ai une petite idée, comme ça…» Dans son esprit, ces «cantines gratuites» devaient être provisoires. Il hurlerait de savoir que, trente ans plus tard, elles sont devenues des institutions…

Salopette. Il porte la fameuse salopette à rayures bleues et blanches pour la première fois sur scène à l’Olympia, le 15 février 1974, pour son spectacle Mes adieux au music-hall. C’était un vêtement qu’il mettait à la ville et qui lui avait été offert par Emmaüs. Devenu riche et célèbre, Coluche renverra l’ascenseur et un chèque au mouvement de l’abbé Pierre.

Télévision. Le 17 mai 1985, pendant le Festival de Cannes, Coluche est l’invité du Jeu de la vérité, de Patrick Sabatier, une des émissions les plus populaires de l’époque. Refusant d’emblée les deux jokers auxquels il a droit, il ira plus loin que jamais dans les confidences. La France découvre ses fêlures, alors qu’il signe un magnifique come-back médiatique, après quatre années de galère. Il conclut l’émission par: «Mon projet le plus important, c’est de continuer à vivre.»

Une. Celle de Libération que l’on aurait aimé ne jamais lire, le vendredi 20 juin 1986, avec une célèbre photo de Jeanloup Sieff: «C’est un mec, y meurt…» coluche-libé

Véronique. Coluche rencontre Véronique Kantor à l’époque du Café de la Gare, où elle est venue comme jeune journaliste. Ils se marient en 1975, ont deux fils, Marius et Romain. Même quand, fatiguée par les fêtes incessantes, elle quitte la maison pour s’installer à 100 m de là avec les enfants, elle reste présente dans l’ombre. Ils divorcent en 1981. Après la mort de son ex-mari, Véronique Colucci s’est beaucoup engagée pour les Restos du cœur.

WC. L’histoire a longtemps été tue, mais son sourire espiègle et sa position auraient dû le laisser deviner: sur la photo devenue iconique, utilisée par les Restos du cœur, Coluche est assis sur les toilettes. «Vas-y, j’ai deux minutes», aurait-il lancé au photographe en laissant la porte ouverte…

Xénophobie. Quand Coluche racontait des blagues sur les Noirs et les Arabes, c’est bien des racistes et des xénophobes qu’il se moquait. «Je ne joue que des cons, parce que j’ai le sentiment que le mal du siècle, c’est la connerie.» Mais les cons, souvent, riaient au premier degré. Malaise.

Un soir, il doit se retenir pour ne pas gifler une dame qui, après un spectacle, lui lance: «Qu’est-ce que vous leur avez mis aux Portugais!» C’est une des raisons qui l’ont fait arrêter la scène (même si, à sa mort, il préparait son retour) et à faire partie des fondateurs de SOS Racisme, avec Harlem Désir.

Youtube. Bénie soit la plus belle invention du net! Qui permet de revoir ses sketches les plus célèbres, ainsi que ses émissions télé, des interviews diverses… L’occasion de vérifier que sa liberté de ton et sa pertinence restent d’une modernité extraordinaire.

Zorro. Lors de l’émission Droit de réponse que Michel Polac lui consacre le 19 juin 1983, sur le thème «Faut-il se débarrasser de Coluche?», il arrive avec une cape de Zorro, entouré de ses fils et de bimbos. Sur le plateau, il n’est pas à l’aise, multiplie les provocations faciles. Attaqué par ses détracteurs (un Belge, une brave bourgeoise, un prêtre…), défendu avec fougue par Jacques Séguéla, il finit par mimer son suicide. Après avoir lancé à un ancien combattant: «A la mémoire de mes camarades comiques morts en se faisant chier à essayer de vous faire rire, je vous crache au cul, monsieur.» Pas sa meilleure vanne.

Posté le par Eric dans Hommage, Humour Déposer votre commentaire

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